Trudeau affirme que la volonté de Trump d’annexer le Canada « est une réalité »

Le premier ministre canadien Justin Trudeau a déclaré vendredi dernier, lors du « sommet économique national » d’urgence, que la menace du président américain Donald Trump d’utiliser la « force économique » pour annexer le Canada « est une réalité ».

Trudeau fait le lien entre la volonté de Trump d’« absorber » le Canada et les efforts déployés par les États-Unis pour s’approprier les minéraux « critiques », c’est-à-dire essentiels à la production de produits de base de grande valeur, allant des voitures aux ordinateurs, et en passant par la fabrication d’armes et de systèmes d’armes avancés nécessaires pour mener leur guerre globale.

Pensant que tous les journalistes avaient quitté la salle de conférence, Trudeau a déclaré devant l’assemblée de chefs d’entreprise et de bureaucrates syndicaux : « Non seulement l’administration Trump sait combien de minéraux critiques nous possédons, mais c’est peut-être même la raison pour laquelle elle continue de parler de nous absorber et de faire de nous le 51e État. »

« Ils sont très conscients, a-t-il poursuivi, de nos ressources, de ce que nous avons et ils veulent vraiment pouvoir en bénéficier. Mais Monsieur Trump a en tête que l’un des moyens les plus faciles d’y parvenir est d’absorber notre pays. Et c’est une réalité. »

Les remarques de Trudeau constituent un aveu stupéfiant de la part du chef d’un gouvernement impérialiste du G7. Un gouvernement, qui plus est, qui est un partenaire militaro-stratégique clé de Washington depuis plus de huit décennies, qui est le plus grand partenaire commercial des États-Unis et qui a longtemps été présenté comme son « meilleur ami » et son « allié le plus proche ».

Ses commentaires sont symptomatiques de l’ampleur de la rupture des relations interétatiques alors que Washington, sous le fasciste Trump et la bannière de «l’Amérique d’abord », mène une lutte de plus en plus frénétique pour le redécoupage impérialiste du monde. Cette lutte oppose les impérialistes et les grandes puissances les uns aux autres, tant rivaux qu’« alliés » déclarés, pour s’emparer des ressources, des réseaux de production, des bassins de main-d’œuvre à exploiter et des territoires stratégiques.

L’impérialisme canadien a joué un rôle important dans la préparation et le déclenchement de la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie à propos de l’Ukraine. Ci-dessus, un soldat ukrainien participant à un exercice de guerre en zone urbaine organisé dans le cadre de la mission d’instruction militaire des Forces armées canadiennes en Ukraine, l’opération Unifier, qui en est rendue à sa septième année. [Photo: Government of Canada]

Tout comme lors des deux guerres mondiales impérialistes menées au siècle dernier, la classe dirigeante capitaliste du Canada est l’un des protagonistes de ce conflit. Dans le but de garantir ses propres intérêts impérialistes prédateurs, elle a intégré le Canada de façon toujours plus étroite dans la volonté d’hégémonie mondiale des États-Unis, y compris dans la guerre mondiale que Washington développe actuellement sur trois fronts. Ayant joué un rôle majeur dans le déclenchement de la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie et sa poursuite actuelle, le Canada soutient fermement les efforts déployés par les États-Unis par l’intermédiaire de leur État vassal d’Israël, pour créer un « nouveau Moyen-Orient », en plus de participer à part entière dans l’offensive économique et militaro-stratégique des États-Unis contre la Chine.

Mais au grand dam de l’élite capitaliste canadienne, l’impérialisme prédateur canadien est désormais devenu la proie de l’impérialisme américain sous Trump. Ce dernier fait pression pour annexer le Canada dans le cadre d’une volonté d’établir une domination américaine débridée sur l’Amérique du Nord en préparation d’une guerre mondiale avec la Russie et la Chine, et d’intensifier les conflits commerciaux et géopolitiques avec les partenaires européens de l’OTAN et les rivaux de Washington et de Wall Street.

Ce processus s’apparente à la poussée d’Hitler pour l’Anschluss (le rattachement de l’Autriche à son Troisième Reich) et au démembrement ultérieur de la Tchécoslovaquie – étapes préparatoires essentielles au lancement par l’Allemagne nazie de sa guerre européenne plus vaste. Trump s’emploie à la « réorganisation » du « voisinage » de l’impérialisme américain et cherche à obtenir ainsi un contrôle sans entrave sur ses territoires stratégiques et leurs ressources abondantes.

À cette fin, il menace de s’emparer militairement du Groenland et du canal de Panama et, conformément à son vœu inaugural selon lequel les États-Unis reprendraient leur expansion territoriale, il a déclaré à plusieurs reprises que le Canada devrait devenir le « 51e État ».

La guerre commerciale mondiale de Trump

Trump a également lancé une guerre commerciale mondiale avec pour objectif principal la Chine. Cette guerre va être menée au détriment des emplois, du niveau de vie et des conditions de travail des travailleurs du monde entier.

Loin d’épargner les soi-disant partenaires nord-américains de Washington en matière de libre-échange, Trump a toutefois choisi de les placer en première ligne de sa guerre commerciale. Il cherche à exploiter leur extrême dépendance vis-à-vis du marché américain – le Canada envoie 78 % de ses exportations aux États-Unis et le Mexique plus de 80 % – afin de leur extorquer des concessions économiques, géostratégiques et en matière de politique étrangère radicales. En ciblant le Canada et le Mexique, l’impérialisme américain signale également à tous les autres pays qu’il a bien l’intention de restructurer l’économie mondiale et de redessiner la carte du monde aux dépens de ses « rivaux stratégiques » comme de ses « alliés » de longue date.

Le 1er février, Trump a effectivement abrogé l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qu’il avait lui-même négocié. Sous prétexte que le Canada et le Mexique constituent des menaces à la « sécurité nationale » des États-Unis, Trump décidait d’imposer des droits de douane de 25 % sur toutes les importations en provenance de ses voisins, à l’exception des importations d’énergie en provenance du Canada, qui devaient être soumises à des droits de douane de 10 %. Deux jours plus tard, quelques heures avant l’entrée en vigueur des droits de douane, la Maison-Blanche a décidé de mettre leur imposition en « sursis » pour 30 jours, après qu’Ottawa et le Mexique aient fait des concessions démonstratives en matière de sécurité aux frontières, soutenant du coup matériellement la chasse aux sorcières fasciste et anti-immigrés de Trump tout en lui conférant une légitimité politique.

Le gouvernement Trudeau a convoqué son sommet de vendredi à deux jours d’avis afin d’informer les dirigeants des plus grandes entreprises et centrales syndicales du pays de la crise qui prévaut dans les relations canado-américaines et préparer leur réplique.

Après une brève partie publique, le sommet s’est déroulé à huis clos, les participants ayant reçu pour instruction de garder le secret sur les débats. Toutefois, plusieurs médias ont appris que Trudeau a fourni des détails supplémentaires sur les deux conversations tendues qu’il a eues avec Trump dans les heures qui ont précédé le « sursis » de l’imposition des droits de douane. Il a indiqué que Trump avait soulevé toute une série de nouveaux griefs et de nouvelles exigences, en plus de ceux liés à la sécurité des frontières. Le commandant en chef américain s’est moqué des dépenses militaires du Canada et de sa contribution au NORAD, le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord interarmées, et s’est plaint que les banques américaines ne puissent pas exercer leurs activités au Canada.

Cette dernière affirmation est fausse. Cependant, le secteur bancaire canadien est très protégé, les cinq grandes banques fonctionnant comme un quasi-monopole, facturant des frais exorbitants et utilisant leur position dominante au Canada comme base pour leurs opérations lucratives qu’elles mènent dans le monde entier. En annonçant son intention de s’en prendre au secteur bancaire canadien, Trump déclare une fois de plus qu’il est plus que prêt à s’attaquer à ce que la bourgeoisie canadienne considère comme son principal intérêt économique et stratégique.

Trump aurait également mentionné un obscur traité de 1908 conclu entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, lorsque le Canada était encore un dominion au sein de l’Empire britannique. Ce traité établissait la frontière entre le Canada et les États-Unis ou fournissant un mécanisme pour le faire dans un certain nombre de domaines litigieux. Trudeau a déclaré lors de la séance à huis clos du sommet que lui et ses collaborateurs avaient interprété le fait que Trump ait évoqué le traité comme une menace d’abrogation.

En annonçant son « sursis » dans l’imposition de droits de douane de 25 % au Canada, la Maison-Blanche a déclaré que les 30 prochains jours seraient mis à profit pour tenter de négocier un nouveau « cadre économique » avec Ottawa. Ce langage souligne le caractère frauduleux des affirmations de Trump selon lesquelles le Canada présenterait un risque pour la sécurité nationale des États-Unis en raison d’un afflux d’immigrants et de drogues, et que ce dont il est vraiment question, c’est la détermination du président à forcer le partenaire junior de Washington à adopter une position plus servile ou, pour reprendre les termes de Trudeau, à « absorber » le Canada.

À la fin de la semaine dernière, le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, a déclaré que les représentants du gouvernement canadien n’avaient aucune idée de ce qu’impliquait ce nouveau « cadre économique » exigé par Washington. Tout indique que Trudeau n’a pas été en mesure de fournir plus d’informations à ce sujet à huis clos devant tout le gratin de l’élite corporative canadienne. Il convient de noter que Trump a évoqué à plusieurs reprises la possibilité de conclure une union économique entre le Canada et les États-Unis, mais beaucoup moins souvent qu’il n’a appelé à faire du Canada le 51e État.

Interrogé dimanche lors d’une interview à Fox TV pour savoir si son ambition d’annexer le Canada « est une réalité » comme le déclare Trudeau, le président-dictateur en puissance a répondu : « Oui, c’est vrai. Je pense qu’il serait préférable que le Canada soit le 51e État, car nous perdons 200 milliards de dollars par an avec le Canada. Et je ne vais pas laisser cela se produire. »

Dimanche également, Trump a annoncé l’imposition imminente de droits de douane de 25 % sur toutes les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis, ce qui a de nouveau mis en colère les partenaires supposés de Washington de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Le Canada est le plus grand exportateur d’acier et d’aluminium vers les États-Unis. Dans le cas de la Chine, celle-ci est effectivement exclue du marché américain depuis l’introduction des droits de douane survenue lors de la première administration Trump et qui ont été maintenus et élargis par la suite par Biden.

Pour la lutte des classes, et non la guerre des tarifs ! Unissons les travailleurs canadiens, américains et mexicains !

Les travailleurs canadiens doivent se méfier. La bureaucratie syndicale et le NPD social-démocrate, les mêmes forces qui étouffent la lutte des classes depuis des décennies, et qui ont soutenu le gouvernement minoritaire de Trudeau défenseur des intérêts de la grande entreprise depuis les cinq dernières années, tentent maintenant de les entraîner derrière l’impérialisme canadien dans le conflit réactionnaire qui l’oppose à son rival américain.

Ils sont devenus les plus fervents défenseurs de l’« unité nationale », cherchant à rallier les travailleurs derrière la grande entreprise canadienne. Ils sont également parmi les plus fervents partisans de mesures de représailles dont le fardeau retombera sur les épaules des travailleurs des deux côtés de la frontière.

Les bureaucrates syndicaux ayant assisté au sommet économique national de Trudeau du 7 février. Au premier rang, troisième à partir de la gauche, la présidente du CTC, Bea Bruske; à sa gauche, la présidente d’Unifor, Lana Payne. [Photo: X/Bea Bruske]

Le sommet de vendredi, au cours duquel les bureaucrates syndicaux jouaient le rôle de représentants supposés des travailleurs, visait à jeter les bases politiques de la tentative réactionnaire de la bourgeoisie canadienne de sauvegarder ses profits et ses intérêts stratégiques. Celle-ci prévoit de le faire en repoussant ses rivaux américains et, surtout, en lançant une offensive massive contre les emplois, le niveau de vie et les droits sociaux et démocratiques des travailleurs.

Deux questions interdépendantes étaient au cœur des délibérations de vendredi. La première est la demande des grandes entreprises pour la mise en œuvre d’un soi-disant « programme de croissance » visant à renforcer la compétitivité mondiale du capitalisme canadien, en réduisant l’impôt sur les sociétés, en supprimant les obstacles environnementaux et autres aux projets miniers, énergétiques et de pipelines, et en éliminant les barrières au commerce interprovincial. La seconde est la nécessité de renforcer la « souveraineté » canadienne en augmentant considérablement les dépenses militaires du pays et en renforçant le contrôle des entreprises canadiennes sur les secteurs économiques – tels que les minerais essentiels – qui sont au cœur de la lutte capitaliste mondiale pour contrôler les chaînes de production clés, dominer les nouvelles technologies et produire en masse de nouvelles armes de haute technologie.

Les affirmations selon lesquelles les travailleurs canadiens et les capitalistes qui les exploitent « sont tous dans le même bateau » et ont des « intérêts communs » à s’opposer à Trump sont une fraude monstrueuse, destinée à livrer politiquement la classe ouvrière pieds et poings liés à une classe dirigeante plus déterminée que jamais à lui faire payer la crise capitaliste mondiale.

Dans la mesure où le capital canadien et ses représentants politiques « s’opposent » à Trump, c’est uniquement dans l’optique de garantir à l’impérialisme canadien la position la plus avantageuse au sein d’une forteresse Amérique du Nord dirigée par les États-Unis.

Ceux-ci défendent tous farouchement le partenariat stratégique militaire canado-américain – car il sert de fondement à la poursuite par l’impérialisme canadien de ses intérêts prédateurs mondiaux – et font tout pour convaincre Trump qu’Ottawa est prêt à assumer une part beaucoup plus importante des coûts engendrés par la poussée des États-Unis pour dominer le monde. Aujourd’hui, comme en témoigne la clameur croissante pour que le Canada atteigne son objectif de dépenser 2 % de son PIB en dépenses militaires pour respecter ses engagements envers l’OTAN d’ici 2027, cela signifie l’imposition de coupes massives dans les dépenses publiques et les services sociaux, ainsi qu’une militarisation croissante de la vie socio-économique du pays. Demain, ce sera la menace de transformer les travailleurs et les jeunes en chair à canon impérialiste.

S’adressant aux journalistes à l’issue du sommet de vendredi, le ministre de l’Industrie François-Philippe Champagne a exposé l’objectif visé par le gouvernement et de la classe dirigeante du Canada en dans leur poursuite d’une intégration toujours plus étroite du Canada dans la Forteresse Amérique du Nord et les plans de guerre mondiale de Washington. Leur intention est d’utiliser les minerais essentiels comme levier, tout en réalisant de gros bénéfices. « Oui, je dirais que c’est un excellent moyen de pression pour le Canada, déclare Champagne, parce que les militaires comprennent qu’ils ne peuvent pas reconstruire leur base industrielle, leur défense, leur base industrielle militaire, sans le Canada. »

Aux côtés de Champagne lors de la conférence de presse donnée par le gouvernement à l’issue du sommet se tenait le ministre du Travail, Steve MacKinnon, qui s’est imposé au cours des six derniers mois comme le briseur de grève en chef du gouvernement Trudeau. Cela fait maintenant quatre fois en effet depuis la fin du mois d’août – la dernière fois étant contre les 55.000 travailleurs de Postes Canada – que MacKinnon met fin à des grèves en s’appuyant sur une « réinterprétation » manifestement illégale et entièrement inventée de l’Article 107 du Code canadien du travail pour décréter illégale toute grève des travailleurs et faciliter l’imposition de conventions remplies de reculs.

Soulignant la participation des principaux bureaucrates syndicaux du pays au sommet, avec notamment la présidente du Congrès du travail du Canada (CTC), Bea Bruske, la présidente d’Unifor, Lana Payne, la présidente de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Magali Picard, et l’ancien président du CTC devenu depuis sénateur, Hassan Youssuf, MacKinnon a déclaré que le Canada était « uni » : « Le message que je veux envoyer aux Canadiens est que ce pays est fort. Ne jouez pas avec nous. »

Plus tard, dans une entrevue avec La Presse, Picard, de la FTQ, a colporté le nationalisme réactionnaire que la classe dirigeante brandit comme fer de lance politico-idéologique de son offensive contre la classe ouvrière : «Il faut que tout le monde soit uni et que tout le monde se lève pour dire à cet homme (Trump), que le Canada est un pays fier. C’est un pays qui a des ressources naturelles, et elles ne sont pas à donner ou à vendre. Nous les vendons, mais de manière responsable. »

Les actions de Trump, qui sont enracinées dans la crise systémique du capitalisme mondial et la lutte pour le redécoupage impérialiste du monde qu’elle engendre, sidèrent la classe dirigeante canadienne et déstabilisent le capitalisme canadien.

Les travailleurs doivent tourner cette situation à leur avantage, en intensifiant la lutte de classe contre les entreprises canadiennes et leur programme d’austérité, d’exploitation accrue des travailleurs, de réarmement et de guerre.

Trump et tout ce qu’il représente – le régime oligarchique, la dictature, le fascisme et la guerre impérialiste – ne peuvent être vaincus que dans la mesure où les travailleurs au Canada fusionnent leurs luttes avec celles de leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis et au Mexique dans le cadre d’une offensive sociale et politique de la classe ouvrière pour qu’elle prenne le pouvoir et établisse une Amérique du Nord socialiste.

(Article paru en anglais le 11 février 2025)

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