La guerre économique menée par le président américain Trump contre le reste du monde, au moyen d’impôts tarifaires et de menaces de tarifs douaniers si les gouvernements visés ne se plient pas aux exigences américaines, s’étend quasiment de jour en jour.
Après avoir imposé un tarif de 10 pour cent à la Chine, auquel Pékin a répondu par des droits de douane sur des marchandises américaines représentant 14 milliards de dollars, comme le gaz naturel liquéfié (GNL), le charbon et le matériel agricole, Trump a annoncé qu'il imposerait un tarif de 25 pour cent sur toutes les importations d'acier et d'aluminium vers les États-Unis.
L'annonce a été faite aux journalistes alors que Trump se rendait au Super Bowl dimanche. «Tout acier entrant aux États-Unis sera soumis à un tarif de 25 pour cent. L'aluminium aussi.»
En signant le décret dimanche soir, Trump a déclaré que ces tarifs s'appliqueraient à toutes les importations et qu'il n'y aurait aucune dispense pour des produits particuliers, car les mesures étaient une réponse aux «acteurs étrangers» qui «sapaient les producteurs d'acier et d'aluminium américains».
Des responsables du gouvernement Trump ont déclaré que le précédent processus de dispense de produits était une «échappatoire», qu’on était en train de fermer.
Cette application à tous les producteurs a conduit les pays exportateurs d’acier comme l’Australie, l’un des plus étroitement alignés sur les États-Unis, à se démener pour obtenir une exemption. Dans quelle mesure cela aboutira reste à voir, mais il semble que les exemptions seront bien rares car les tarifs douaniers frapperont des pays qui sont tous nominalement des alliés des États-Unis.
Les principales cibles immédiates de ces tarifs sont le Canada, premier fournisseur extérieur, suivi du Brésil, du Mexique, de la Corée du Sud et de l'Allemagne. Le Canada est également la plus grande source extérieure d'aluminium, ses fonderies fournissant environ 44 pour cent des besoins américains.
La Chine est un exportateur relativement petit d'acier et d'aluminium vers les États-Unis, mais à long terme, elle constitue la principale cible, comme l'a souligné Keith Bradsher, correspondant du New York Times en Chine, dans un article publié lundi.
Il y souligne que la Chine «domine l’industrie mondiale de l’acier et de l’aluminium. Ses fonderies, vastes et modernes, produisent chaque année autant de ces deux métaux, voire plus, que le reste du monde réuni.»
Par le passé, une grande partie de cette production était consommée en Chine dans le secteur manufacturier et la construction. Mais avec le ralentissement de l’économie chinoise (le taux de croissance officiel de 5 pour cent est le plus bas depuis trente ans), les marchés d’exportation sont devenus plus importants. Selon l’article, le Vietnam achète désormais «d’énormes quantités» d’acier semi-fini à la Chine ; il complète ensuite le processus de production et l’exporte comme acier vietnamien.
Les mesures introduites jusqu’à présent – suspension de l’imposition d’un tarif de 25 pour cent sur le Canada et le Mexique, tarif supplémentaire de 10 pour cent sur tous les produits chinois et taxe de 25 pour cent sur l’acier et l’aluminium – ne sont qu’un début.
Comme le souligne un article du Wall Street Journal (WSJ), quelle que soit l’issue des différends immédiats sur ces tarifs douaniers, «les responsables actuels et anciens de l’administration Trump affirment qu’ils ne représentent qu’une petite partie de sa politique commerciale».
La prochaine cible majeure est l'Europe, qui pourrait être touchée dès cette semaine. Trump a dénoncé le traitement réservé aux États-Unis par l'Union européenne comme une «atrocité», affirmant que les Européens «n'achètent pas nos voitures, ils ne prennent pas nos produits agricoles, ils ne prennent presque rien et nous leur prenons tout».
L'UE représente environ 15 pour cent des importations américaines, les machines, les produits pharmaceutiques et les produits chimiques étant ses principales exportations. L'industrie automobile européenne est elle aussi visée. Trump a également menacé de riposter aux tentatives européennes d'imposer des réglementations et des taxes aux géants américains de la haute technologie et des réseaux sociaux en Europe.
«Je pense que l’Europe va se retrouver dans une guerre commerciale massive», avait déclaré au WSJ Robert O’Brien, conseiller de Trump à la Sécurité nationale durant son premier mandat. «Je ne crois pas que le président va tolérer ce type d’actes dirigés contre les plus grandes entreprises américaines.»
La Commission européenne, l'organe exécutif de l'UE, a élaboré des plans pour répondre aux hausses américaines de tarifs douaniers, ses responsables affirmant que «toutes les options» sont sur la table.
Mais des divisions subsistent au sein du bloc. Certains, comme la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, estiment qu'il faut tenter d'apaiser la situation en proposant d'acheter davantage de produits américains, comme le GNL.
D’autres estiment que l’apaisement ne fera qu’entraîner davantage d’exigences de la part des États-Unis. Dans ses déclarations, la Commission européenne a jusqu’à présent souligné la nécessité d’une réponse unifiée, consciente des divisions dans ses rangs. Celles-ci étaient en évidence à l’occasion de l’imposition de droits de douane américains sur les véhicules électriques chinois, auxquels un certain nombre de pays, dont l’Allemagne, se sont opposés tandis que d’autres s’abstenaient.
L’un des objectifs du régime Trump sera d’exploiter ces divisions pour imposer sa politique d’«America First». Face à cette attaque, l’UE se retrouve confrontée à l’une des crises les plus graves de son histoire.
Dans une interview à Bloomberg, Alicia Garcia Herrero, chercheuse principale au groupe de réflexion économique Bruegel basé à Bruxelles et économiste en chef pour l'Asie à la banque d'investissement française Natixis, a déclaré que l'Europe allait « sans aucun doute se diviser».
Au milieu du blitzkrieg quotidien des mesures tarifaires et de la guerre commerciale américaine, trois tendances générales peuvent être dégagées.
Dans le cas des menaces initiales d’imposition de droits de douane de 25 pour cent contre le Mexique et le Canada, qui, bien que suspendues, pourraient encore être appliquées, l’objectif était de forcer les deux gouvernements à agir. Cela pour que Trump puisse revendiquer la victoire sur un élément central de son agenda intérieur, à savoir qu’il mettrait fin au flux de fentanyl et à une soi-disant «invasion» d’immigrants illégaux.
Un deuxième volet est l’affirmation du vendeur de «poudre de perlimpinpin», selon laquelle les tarifs douaniers augmenteront les recettes du gouvernement américain, financeront les importantes baisses d’impôts qu’il cherche à faire passer et récolteront des fonds auprès des entreprises étrangères pour aider à réduire un déficit public américain qui ne cesse de grimper.
Comme l’a déclaré Trump lors de sa promulgation des tarifs sur l’acier et l’aluminium: «C’est une affaire importante: rendre l’Amérique à nouveau riche.»
Les droits de douane augmenteront certainement les recettes, mais pas celles des entités étrangères. Les droits de douane sont une taxe sur les importateurs américains de marchandises, qui paient l'impôt, et non sur l'entreprise exportatrice, et qui, en fin de compte, est payée par le consommateur américain sous forme de prix plus élevés.
Le troisième volet de l’offensive tarifaire est lié à des objectifs géostratégiques plutôt qu’à des objectifs strictement économiques.
En réalité, les objectifs économiques sont contradictoires. D'un côté, Trump affirme que le dollar est surévalué, ce qui nuit à la compétitivité des États-Unis sur les marchés mondiaux. Mais de l'autre, l'imposition de droits de douane tend à aggraver ce problème, car elle augmente la valeur du dollar et, par conséquent, le prix des marchandises américaines.
De plus, Trump a insisté pour dire que le dollar devait conserver son statut de monnaie de réserve mondiale – c’est ce privilège exorbitant, comme on l’a appelé, qui permet au gouvernement américain d’accumuler des déficits massifs, ce qui est impossible pour tout autre pays. Perdre cette position, a déclaré Trump, équivaudrait à perdre une guerre. Mais si la valeur du dollar chute, comme il le préconise, alors son rôle de monnaie de réserve mondiale est mis à mal.
Ces contradictions mettent en évidence l’un des principaux moteurs de la guerre économique mondiale. Son objectif est d’utiliser les tarifs douaniers et la menace de tels tarifs, imposés au point de paralyser les économies rivales, pour assurer leur subordination aux objectifs mondiaux de l’impérialisme américain. Le message des tarifs douaniers est celui-ci: obéissez à nos diktats ou vous serez écrasés.
De telles méthodes avaient été mises au point avant Trump, comme l’imposition de sanctions, l’exclusion de la Russie du système de paiements internationaux ou encore les mesures prises contre l’Iran, pour ne citer que deux exemples majeurs. Elles sont désormais massivement étendues.
Trump a déclaré qu'il n'était pas en faveur des sanctions car elles conduisent à trouver une alternative au dollar comme moyen de paiement, affaiblissant ainsi sa position en tant que monnaie de réserve mondiale. Il préfère donc les tarifs douaniers.
Du chaos des guerres tarifaires émerge un nouvel ordre mondial qui a attiré l’attention de certains des commentateurs bourgeois les plus perspicaces.
Dans un article publié lundi dans le Financial Times, le correspondant pour les Affaires étrangères Gideon Rachman écrit: «Vous avez entendu parler du néolibéralisme et du néoconservatisme. Bienvenue à l’ère du néo-impérialisme.»
Rachman a attiré l'attention sur ce qu'il a qualifié de «moment le plus marquant» du discours inaugural de Trump, à savoir sa promesse que les États-Unis «se considéreront à nouveau comme une nation en croissance, une nation qui accroît sa richesse et étend son territoire».
Ce n’est ni une coïncidence ni un accident si, tout en avançant les mesures tarifaires dès le premier jour, Trump a également déclaré que l’Amérique «obtiendrait le Groenland», par la force si nécessaire, que le Canada devrait devenir le 51e État et qu’il n’y aurait alors pas de droits de douane, et que les États-Unis «reprendraient» le canal de Panama.
Rachman a faussement associé les États-Unis à la Russie, à propos de la guerre réactionnaire de cette dernière en Ukraine (résultat des provocations de l’OTAN) et à l’affirmation de Pékin que Taiwan fait partie de la Chine (toujours reconnue, au moins officiellement dans les cercles internationaux, même par les États-Unis), y voyant des expressions de néo-impérialisme.
Mais il a soulevé un point essentiel concernant les États-Unis, notant que «les ambitions extérieures de Trump s’accompagne d’une intense concentration sur le fait d’écraser ‘l'ennemi à l'intérieur’».
(Article paru en anglais le 11 février 2025)