Les guerres d'Israël avaient autrefois un début et une fin. Ce n'est plus le cas de la guerre d'anéantissement menée par Israël contre les Palestiniens de Gaza, qui s'étend aujourd'hui aux Palestiniens de la Cisjordanie occupée, et aux hostilités quasi quotidiennes contre le Hezbollah au Liban.
Dès le début de la guerre, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et la quasi-totalité des chefs d’état-major des forces de défense israéliennes (FDI) ont prévenu que la guerre serait longue. Israël et son commanditaire, les Etats-Unis, considèrent la guerre contre le Hamas comme une guerre par procuration contre l’Iran et le prélude à une guerre plus vaste contre ce pays et ses alliés en Syrie et au Liban.
La Banque d’Israël est manifestement du même avis, estimant le coût total de la guerre actuelle avec le Hamas à 250 milliards de shekels (68 milliards de dollars/61 milliards d’euros) sur une période de deux ans.
Lors de la présentation de cette estimation en juin dernier, le professeur Amir Yaron, gouverneur de la Banque d’Israël, a ajouté: «En outre, le futur budget de la défense devrait augmenter de manière permanente, ce qui aura un impact macroéconomique. »
Les dépenses et les emprunts de l’État ont grimpé en flèche. Les agences de notation ont dégradé la note d’Israël pour la première fois de son histoire, de A+ à A, en raison de l’élargissement du déficit budgétaire de 4,1 pour cent du PIB en 2023 à 7,8 pour cent en 2024.
Selon les données de la Banque mondiale, en 2022, le budget militaire d'Israël représentait 4,51 pour cent de son économie, le plus élevé au monde, plus élevé même que celui des États-Unis (3,45 %) et bien au-dessus de la moyenne de l'OCDE qui est de 2,39 pour cent. Il représentait 12,2 pour cent de son budget annuel total, contre 12,17 pour cent aux États-Unis et 8,31 pour cent en moyenne dans l'OCDE. Le grand nombre de jeunes hommes retirés du marché du travail civil pour le service militaire et la militarisation d'Israël ont entraîné une réduction de l'activité économique équivalant à une perte de 5,7 pour cent du PIB par an, selon le professeur Yossi Zeira, économiste à l'Université hébraïque.
L’armée israélienne, priorité absolue de l’État sioniste, est depuis longtemps le poste budgétaire le plus important du gouvernement. Cela découle inexorablement du fait qu’Israël est en état de guerre permanent avec diverses coalitions d’États arabes: en 1948, 1956, 1967 et 1973; lors des deux invasions du Liban (1982, 2000 et 2006); et avec les Palestiniens: en 1948, lors des deux Intifadas de 1987 et de 2000-2005, les assauts militaires contre Gaza en 2008-2009, 2012, 2014 et 2021, ainsi que la guerre actuelle.
C'est après la guerre de 1967, lorsqu'Israël a lancé une attaque planifiée de longue date contre l'armée de l'air égyptienne, largement détruite au sol, que le budget de la défense est devenu la principale priorité. Jusqu'alors, Israël était préoccupé par le coût de l'absorption de la grande vague d'immigration dans le pays.
Au cours de la guerre des Six Jours, Israël s'est emparé du plateau du Golan syrien, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est sous contrôle jordanien, qu'il a annexées, de la péninsule du Sinaï en Égypte (restituée à l'Égypte en 1981), ainsi que de la bande de Gaza occupée par l'Égypte. Ce fut un tournant dans le développement d'une politique du Grand Israël consistant à annexer de manière permanente les terres saisies et à établir des colonies de style colonial dans les territoires nouvellement conquis, au mépris des conventions internationales. Les colonies ont à leur tour créé une couche sociale qui possédait un intérêt direct à la politique expansionniste d'Israël, fournissant un pôle d'attraction pour certaines des forces les plus réactionnaires, dont les héritiers fascistes sont aujourd'hui au gouvernement. Ils ont dicté la politique, faisant rapidement pencher la politique israélienne vers la droite dans les années 1970, et augmentant l'instabilité sociale.
L’occupation des territoires palestiniens en Cisjordanie et à Gaza a été imposée au moyen d’un régime militaire impitoyable, de punitions collectives, de démolitions de maisons, d’expulsions forcées et de détentions sans procès. Cela a nécessité un investissement énorme en personnel militaire, en armes et en munitions. Alors que huit compagnies seulement sécurisaient les frontières d’Israël en 1967, le nombre de compagnies nécessaires pour défendre les nouvelles frontières, beaucoup plus longues, a grimpé à 92. En 2020, les rangs des forces armées régulières d’Israël ont encore augmenté, représentant 4,24 pour cent de la main-d’œuvre, la neuvième plus grande proportion sur 162 pays, plus élevée même que celle des États-Unis.
Après avoir démontré sa supériorité militaire sur les armées arabes en 1967, Israël est devenu le gardien des intérêts américains au Moyen-Orient et, avant le déclenchement de la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine, le plus important bénéficiaire de l’aide américaine. La plupart de cette aide se présentait sous forme de dollars américains pour l'achat d'armements fabriqués aux États-Unis. Cela représente environ 15 pour cent du budget de la défense d'Israël, avec près de 4 milliards de dollars par an promis jusqu'en 2028. Mais même cela pourrait ne pas suffire à couvrir le coût de la guerre.
Le rôle d’Israël en tant que sous-traitant de Washington a un coût: il doit entretenir la machine de guerre par procuration des États-Unis, ce qui épuise le reste du budget civil non militaire. En 2023, alors que les dépenses publiques civiles moyennes dans les pays de l’OCDE s’élevaient à 42,2 pour cent du PIB (hors intérêts et dépenses militaires), elles n’étaient que de 32,9 pour cent en Israël, soit les trois quarts de la moyenne de l’OCDE.
En raison de la guerre, le gouvernement exige une augmentation de 55 milliards de shekels du budget de la Défense, qui, avec les fonds fournis par les États-Unis, devrait atteindre 125 milliards de shekels (34 milliards de dollars/30 milliard d’euros), soit une augmentation énorme de 87 pour cent par rapport au budget précédent. En 2023, les dépenses militaires réelles ont été presque 32 pour cent supérieures aux prévisions dû à la guerre du 7 octobre. Mais ce n’est pas tout. Même après qu’on aura payé la guerre, les fauteurs de guerre et les gangsters qui dirigent le ministère des Finances israélien parlent d’une augmentation permanente de 20 milliards de shekels par an pour le budget de la défense ; le ministère de la Défense lui, exige une augmentation annuelle de 60 milliards de shekels.
Israël se trouve en queue de peloton de presque tous les classements de l’OCDE en matière d’indicateurs socio-économiques. L’éducation et les services sociaux souffrent d’une pénurie chronique de personnel, les travailleurs ayant démissionné en masse, ne voulant plus travailler pour les salaires de misère offerts par le secteur public. Il y a quelques jours à peine, à la rentrée scolaire, les enseignants ont organisé une grève d’un jour en guise de protestation. Aujourd’hui, les services publics et la protection sociale, déjà réduits à l’essentiel, risquent d’être anéantis pour financer la guerre.
Et tout cela se passe alors que la guerre elle-même a créé des besoins supplémentaires: il faut aider des centaines de milliers de personnes déplacées, des centaines de milliers de chômeurs, des milliers de petites entreprises qui n’ont aucun moyen de gagner leur vie, sans parler des milliers de soldats et de réservistes qui ont besoin de soins et de traitements pour un syndrome de stress post-traumatique après avoir servi à Gaza. Tous les appels à l’aide sont accueillis avec des cris d’alarme: «Il n’y a pas d’argent» et «Vous devrez vous débrouiller tout seuls ».
Les Palestiniens, en particulier les jeunes, qui sont depuis des décennies confrontés à des taux de chômage bien plus élevés que ceux des Israéliens juifs, sont l'un des groupes les plus touchés par les coupes budgétaires. Ils sont confrontés à une réduction budgétaire de 15 pour cent, plus élevée que d’autres coupes proposées, dans des services censés remédier à un manque de services qui dure depuis longtemps.
Selon le rapport du contrôleur général des Finances, 25 pour cent des jeunes hommes arabes et 34 pour cent des jeunes femmes arabes sont économiquement inactifs, contre 14 pour cent et 17 pour cent des jeunes hommes et femmes juifs. De plus, le taux de pauvreté des jeunes arabes (18-24 ans) est de 40,5 pour cent, contre 14,8 pour cent pour leurs homologues juifs. Le chômage a considérablement augmenté parmi les Arabes israéliens depuis le début de la guerre en octobre, ce qui signifie que le taux de pauvreté va encore augmenter.
Plus de 60 000 entreprises israéliennes sont en voie de faire faillite d'ici la fin de l'année, en raison de l'arrêt du tourisme et de la chute de la consommation, du commerce et des investissements étrangers. Si les secteurs du bâtiment et de l'agriculture qui dépendent de 140 000 travailleurs palestiniens de Cisjordanie et de Gaza dont les permis de travail ont été retirés, sont à l'arrêt, ce sont presque tous les secteurs de l'économie qui sont touchés.
(Article paru en anglais le 16 septembre 2024)