Les émeutes qui se sont produites à Dublin le soir du 23 novembre ont mis en évidence la menace grandissante de l'extrême droite en Irlande et dans le monde.
Ces éléments gagnent en confiance dans des conditions où la classe dirigeante utilise de plus en plus les migrants comme boucs émissaires pour sa propre destruction du niveau de vie des travailleurs.
Environ 500 émeutiers étaient impliqués; ils ont mis le feu à un tramway et à deux bus et ont pillé 13 magasins, entraînant le plus grand déploiement de policiers anti-émeutes dans l'histoire du pays. Onze véhicules de police ont été endommagés, près de 50 policiers blessés et 48 personnes arrêtées.
La violence a été attisée par des agitateurs d'extrême droite suite à l'agression à l'arme blanche d'une femme et de trois enfants plus tôt dans la journée, apparemment par un ressortissant étranger. Des sources ont déclaré à la BBC que l'homme soupçonné était un citoyen irlandais d'une quarantaine d'années vivant dans le pays depuis 20 ans. Certains éléments indiquent qu'il souffrait d'un épisode psychotique après avoir récemment reçu un diagnostic de tumeur au cerveau. Un chauffeur-livreur brésilien, Caio Benicio, a aidé à le désarmer.
À 17 h 22, un message vocal a été envoyé par l'utilisateur « Kill All Immigrants » à la chaîne Telegram Enough is Enough, exhortant : « Bally [cagoule] en place, outil en place. Et n’importe quel… putain d’étranger… tuez-les. Putain, tue-les. Faites qu’on en parle aux nouvelles ».
Le même jour, le pratiquant irlandais des arts martiaux mixtes Conor McGregor avait tweeté à ses 10 millions de followers, en réponse à l’attaque à l’arme blanche: «Nous ne reculons pas, nous ne faisons que nous échauffer. Il n’y aura aucun recul tant que de véritables changements ne seront pas mis en œuvre pour la sécurité de notre nation. Nous ne perdrons plus nos femme [sic] et nos enfants à cause de gens malades et tordus qui ne devraient même pas être en Irlande en premier lieu. »
Il avait tweeté la veille, après une série de messages dénonçant le Taoiseach (Premier ministre) Leo Varadkar pour avoir encouragé les migrants à s'inscrire sur les listes électorales : «Irlande, nous sommes en guerre ».
Les dirigeants fascistes britanniques Paul Golding, chef de Britain First, et Tommy Robinson, ex-dirigeant de la Ligue de défense anglaise, n’ont pas tardé à féliciter McGregor. Robinson a déclaré qu'il était « tellement heureux que Conor défende les intérêts du peuple irlandais ». Golding l'a sollicité pour organiser «une ‘Marche pour la liberté’ à Dublin ».
Des événements comme celui qui s’est produit en Irlande, où l’extrême droite a eu une présence politique négligeable ces dernières décennies, soulignent la portée mondiale du mouvement d’extrême droite incubé et activement promu par la bourgeoisie. Ces éléments émergent après une période d'agitation larvée, d'intimidation et de violence grandissantes de la part d'organisations d'extrême droite, notamment le Parti national irlandais et le Parti irlandais de la liberté.
Des groupes de nationalistes extrémistes, de suprémacistes blancs, de fondamentalistes religieux, de militants anti-vaccins et de négationnistes du COVID se rassemblent autour de l’opposition à l’immigration et à un establishment «faible» et «woke», ne faisant en fait qu’amplifier la rhétorique anti-migrants de ce même establishment. Plus de 300 manifestations anti-immigration ont eu lieu en Irlande en 2022, et 169 dans les six premiers mois de 2023.
Le paysage de la migration vers l’Irlande a considérablement changé au cours des 20 dernières années, passant d’un phénomène mineur au point où 20 pour cent de la population actuelle est née à l’étranger. Le nombre de demandeurs d’asile est passé de 7 500 en 2021 à 74 000 cette année, pour la plupart des Ukrainiens.
Alors que la crise sociale s’aggrave, les forces d’extrême droite en profitent pour faire des migrants des boucs émissaires, le gouvernement légitimant bon nombre de ses affirmations.
Le dimanche précédant l'émeute, Varadkar avait déclaré à l'émission The Week in Politics de la chaîne RTÉ que même si «la migration est une bonne chose pour l'Irlande», le pays devait « ralentir le flux» et être «réaliste» quant au soutien offert.
«Lorsqu'il s'agit de migration irrégulière, qu'il s'agisse de personnes venant d'Ukraine ou de gens cherchant une protection internationale, je pense que l'une des choses que nous devons faire quand nous devons être honnêtes les uns avec les autres à ce sujet, c'est de nous assurer que ce que nous offrons – en termes de logement, de travail, d'argent – est similaire à ce qui est proposé dans d'autres pays de l'UE.»
La crise sociale, qu’on impute aux migrants, même à ceux qui demandent l’asile en raison des guerres prédatrices provoquées par les puissances impérialistes, s’aggrave de jour en jour, grâce à une classe dirigeante soucieuse uniquement de son propre enrichissement.
Parlant du mécontentement populaire exploité par l'extrême droite, le PDG de l'Immigrant Council, Brian Killoran, a évoqué «plusieurs crises qui frappent l'Irlande, notamment une crise du logement et des services de santé en ruines, qui remontent à la récession de 2008 et à la période d'austérité qui a suivi », a rapporté Euronews.
En janvier dernier, l’Association médicale irlandaise avertissait: «Nos services de santé publique sont plongés dans un cycle de crise sans fin. Trop peu de médecins, trop peu de lits et trop peu de professionnels de santé. Nous n’investissons tout simplement pas suffisamment dans le recrutement de personnel et dans l’augmentation de la capacité à répondre aux besoins des patients. Cela entraîne des délais d’attente dangereux pour les traitements et des niveaux d’épuisement professionnel sans précédent chez les médecins.
En août, le journal Irish Examiner a rapporté des chiffres montrant que plus de 127 000 interventions hospitalières avaient été annulées ou reportées au cours des six premiers mois de l'année, dont 24 000 concernaient des enfants.
En mars, Varadkar a admis un déficit de logements de 250 000 unités. Il y a 12 000 personnes sans abri, parmi lesquelles 1 400 demandeurs d'asile qui sont à la rue depuis janvier, selon le Conseil irlandais pour les réfugiés.
Selon la Banking & Payments Federation Ireland (BPFI), les loyers moyens ont augmenté de 82 pour cent au cours de la période 2010-2022, contre une moyenne de 18 pour cent dans l’Union européenne; les prix de l’immobilier ont augmenté de 55 pour cent. Le rapport du BPFI note qu'au cours de la même période, la population irlandaise a augmenté de plus d'un demi-million de personnes, la production de logements n'augmentant elle, que de 130 000 unités.
Ann-Marie O'Reilly, représentante de l'organisation d'aide aux locataires Threshold, a expliqué au journal Le Monde en juillet dernier comment «des gouvernements successifs ont abandonné le soutien au logement social».
Les demandeurs d’asile étant hébergés de manière disproportionnée dans les quartiers les plus défavorisés et les moins bien desservis – souvent dans des hôtels, d’anciens immeubles de bureaux et des salles de sport – l’extrême droite détourne et manipule des doléances sociales légitimes.
Même s'ils restent une force marginale dans la politique irlandaise, les exemples existant en Europe – où des partis comme l'Alternative pour l'Allemagne, les Frères d'Italie, le Rassemblement national français, le Parti néerlandais pour la liberté et les Démocrates suédois, ont constitué une base électorale stable de 10 à 20 pour cent des électeurs et exercent une influence démesurée sur la politique nationale – sont un avertissement.
La seule réponse à cette réaction ethnique nationaliste à la crise sociale – diabolisant les migrants de la classe ouvrière – est une réponse socialiste, visant à mobiliser la classe ouvrière pour exproprier les richesses thésaurisées par les multi-millionnaires et les milliardaires. L’extrême droite ne peut être combattue que dans la mesure où une lutte socialiste internationale est menée contre tous les partis capitalistes, en Irlande et dans toute l’Europe, dont la politique pro-guerre et pro-grand patronat est la véritable cause des difficultés sociales.
(Article paru en anglais le 27 novembre 2023)