Dans sa mise à jour budgétaire du 7 novembre dernier, le ministre des Finances du Québec Éric Girard a dressé un portrait sombre de l’économie québécoise pour la prochaine année afin de justifier de nouvelles mesures d’austérité et le maintien d’une ligne dure face aux travailleurs du secteur public.
La classe dirigeante québécoise et canadienne veut faire porter à la classe ouvrière tout le poids de la crise structurelle du système capitaliste – y compris le financement de la guerre impérialiste – pendant qu’elle transfère des milliards de dollars aux banques, aux grandes entreprises et aux riches investisseurs.
Au pouvoir depuis 2018, le gouvernement ultra-droitier de la Coalition avenir Québec (CAQ) dirigé par le multimillionnaire ex-PDG d’Air Transat François Legault et composé d’anciens hauts dirigeants du milieu des affaires, a réduit les dépenses sociales, accéléré la privatisation des services publics et imposé des attaques brutales sur les conditions des travailleurs.
Simultanément, il a fait adopter une série de lois antidémocratiques, notamment la loi 21 sur la «laïcité» qui cible surtout les femmes musulmanes et la loi 96 qui renforce le statut privilégié du français et brime les droits linguistiques des minorités. En consacrant ainsi le nationalisme québécois le plus chauvin comme la politique officielle de la province, la CAQ veut blâmer les immigrants pour les problèmes sociaux résultants de ses politiques d’austérité capitaliste et diviser les travailleurs pour éviter une lutte commune contre ses actions anti-ouvrières.
Dans son budget 2023, déposé à la fin du mois de mars dernier, le gouvernement Legault a imposé une nouvelle ronde d’austérité, principalement sous la forme d’une «augmentation» globale des dépenses du gouvernement de seulement 1,2%, soit bien en deçà de l’inflation qui se maintient au Québec à près de 5% depuis le début de l’année, le plus haut taux au Canada.
La détérioration de l’économie entre le dépôt du budget et la mise à jour du 7 novembre offre maintenant le camouflage nécessaire à la CAQ pour approfondir l’austérité capitaliste sous le prétexte de faire une «gestion responsable des finances publiques».
Girard a réduit de moitié les prévisions de croissance économique pour 2024, de 1,4% à 0,7%, par rapport à ce qui a été anticipé dans le dernier budget. Ce ralentissement est attribué à la hausse des taux d’intérêt et à l’inflation soutenue.
Référant à la prochaine année comme une période de «stagnation» pour l’économie, le ministre des Finances a reconnu que la situation était «extrêmement difficile pour les Québécois». Le Québec est effectivement aux prises avec une véritable crise sociale, mais le gouvernement Legault n’a aucune intention d’y remédier.
Dans sa mise à jour, la CAQ a choisi de se concentrer sur quelques volets seulement de cette crise, à savoir l’insécurité alimentaire, l’itinérance, la pénurie de logements abordables et, de façon secondaire, les conséquences des changements climatiques et le transport collectif. Dans tous les cas, il a annoncé des mesures superficielles qui ne feront pas la moindre brèche dans ces gigantesques problèmes sociaux, sans parler de ceux qui sont ignorés complètement.
Au chapitre de l’insécurité alimentaire, à 9%, l’augmentation des prix des denrées alimentaires est encore presque le double de l’inflation globale. S’il en résulte des profits fabuleux pour les quelques géants de l’industrie alimentaire qui contrôlent le marché, de plus en plus de Québécois n’arrivent pas à se nourrir ou nourrir leur famille convenablement.
Les banques alimentaires du Québec ont dû aider 872.000 personnes chaque mois en 2023, une augmentation spectaculaire de 30% par rapport à 2022 et de 73 % par rapport à 2019. Un Québécois sur dix a eu besoin d’aide alimentaire. De façon significative, de plus en plus de travailleurs doivent faire appel aux banques alimentaires, leur salaire ne suivant pas l’inflation du prix des aliments. Ainsi, 18% des ménages qui ont eu recours à une banque alimentaire en 2023 avaient un emploi comme principale source de revenus, une donnée en hausse de 102% par rapport à 2019.
La crise sociale sévit aussi dans le reste du Canada ou les travailleurs font face au même assaut patronal sur leur niveau de vie. Par exemple, le recours aux banques alimentaires a augmenté de 30% dans l’ensemble du Canada, alors que la pénurie de logements abordables, l’itinérance, la pauvreté et la crise des opioïdes affectent la classe ouvrière et les plus démunis à travers tout le pays. Pendant ce temps, le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau, avec l’appui du NPD, et les gouvernements provinciaux, peu importe le parti, imposent l’austérité.
Girard a annoncé une aide de 10 millions pour les banques alimentaires. Cette aide ponctuelle est largement inférieure à ce que les organismes avaient demandé alors que 71% d’entre eux ont manqué de denrées en 2023. Après l’annonce, le regroupement des banques alimentaires a laissé connaitre l’insuffisance de l’aide gouvernementale en affirmant qu’avec celle-ci, ses membres «espèrent pouvoir tenir le coup jusqu’après les fêtes». L’aide temporaire du gouvernement ne fera rien non plus pour contrôler l’inflation du prix des aliments ou garantir la sécurité alimentaire de tous les Québécois.
La pénurie de logements abordables et l’itinérance sont aussi en hausse marquée. Selon la société canadienne de l’hypothèque et du logement (SCHL), il faudrait construire 1,2 million de logements d’ici 2030 pour faire face aux besoins. Par ailleurs, le nombre de personnes en situation d’itinérance a bondi d’environ 44% au Québec depuis 2018, passant de près de 6.000 à environ 10.000, un chiffre généralement sous-estimé en raison de la difficulté à faire le décompte de ces personnes qui vivent en marge de la société.
En réponse, la CAQ a annoncé un «investissement» de 1,8 milliard de dollars pour la construction de «logements sociaux abordables» et pour loger des personnes itinérantes. Derrière cette annonce pompeuse, se cache la réalité que cette somme ne proviendra qu’à moitié du gouvernement Legault, l’autre moitié étant payé par le gouvernement fédéral des libéraux de Justin Trudeau. L’investissement de 1,8 milliard de dollars des deux ordres de gouvernement sera étalé sur 5 ans et permettra la construction de seulement 8.000 logements sociaux, un nombre insignifiant comparé aux besoins.
Girard a aussi annoncé des sommes nettement insuffisantes et bien en deçà des demandes des villes pour «soutenir la transition climatique» (292 millions de dollars sur 5 ans – les villes réclamaient 2 milliards par année) et pour rembourser 60% du déficit des sociétés de transport collectif (265 millions de dollars en 2023-2024). Les sociétés de transports n’auront d’autre choix pour rembourser le reste des déficits accumulés pendant la pandémie de COVID-19 que de couper les services à la population et les conditions des chauffeurs et autres travailleurs.
Au total, l’aide «ciblée et ponctuelle» du gouvernement du Québec consacré à certains besoins sociaux totalise 3,3 milliards de dollars, la majorité versée sur 5 ans. Pour gonfler ces chiffres, Girard a aussi annoncé en grande pompe une «indexation de 2 milliards de dollars par année du régime fiscal et des prestations d’assistance sociale au bénéfice des Québécois». En réalité, cette indexation est prévue par la loi et si elle est élevée c’est qu’elle doit suivre l’inflation.
Ces sommes dérisoires ont été dépeintes par les grands médias capitalistes comme un effort quasi surhumain du gouvernement Legault dans un contexte économique difficile qui forcera des «choix douloureux».
En réalité, la mise à jour économique et ses dépenses insignifiantes par rapport aux besoins sociaux signale que la classe dirigeante se prépare à imposer une nouvelle phase d'austérité sauvage afin de transférer encore plus de richesses de la classe ouvrière à l'élite financière et aux grandes entreprises. Selon l’Institut du Québec, l’augmentation des dépenses de portefeuilles du gouvernement du Québec sera de 2,3% pour la période 2023-2027, bien en dessous de l’inflation et le plus bas taux depuis la période 1993-1998 et les immenses coupes sociales du Parti québécois (PQ) au nom du «déficit zéro».
Anticipant que ces politiques provoqueront l’intensification de la lutte des classes, l'establishment politique et les syndicats pro-capitalistes sont déterminés à imposer des contrats bourrés de concessions aux travailleurs du secteur public afin de maintenir la «paix industrielle», c’est-à-dire à empêcher ou à limiter l’ampleur de grèves qui pourraient devenir le point de départ d’une contre-offensive de la classe ouvrière.
Les dernières offres dérisoires du gouvernement aux 600.000 travailleurs de l’État ont été budgétées dans la mise à jour économique: des augmentations de salaire de 10,3% sur cinq ans pour tous les employés de l’État, auxquelles s’ajouteraient des bonifications représentant 3% pour certaines catégories de travailleurs.
En tenant compte de l’inflation, il s’agit d’une baisse de salaire réel, ce que même les médias contrôlés par la grande entreprise ont dû reconnaitre lorsqu’ils ont révélé que pour affirmer publiquement que ses offres «suivent l’inflation», le gouvernement Legault avait dû malhonnêtement retirer l’année 2022 des calculs.
Au même moment, le gouvernement exige des concessions majeures dans «l’organisation du travail» afin d’augmenter la charge de travail et limiter les primes pour le temps supplémentaire.
Pour défendre leurs conditions de travail, les employés du secteur public doivent rejeter toute la politique socio-économique du gouvernement Legault et faire de leur lutte le coup d’envoi d’une contre-offensive de toute la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste.
Pour ce faire, ils doivent établir des comités de la base, c’est-à-dire des organisations démocratiques complètement indépendantes des appareils syndicaux pro-capitalistes. Seuls de tels comités pourront mobiliser les 600.000 travailleurs du secteur public et le soutien actif de tous les travailleurs – au Québec comme ailleurs au Canada – dans une lutte politique contre le gouvernement Legault et la classe dirigeante qu’il représente.