420.000 travailleurs du secteur public québécois affiliés à l’alliance intersyndicale du Front commun ont entamé mardi une grève de trois jours, entraînant la fermeture des écoles publiques et des cégeps (collèges et lycées) de la province et perturbant l’offre normale des soins de santé et d’autres services gouvernementaux.
Les travailleurs, qui sont sans contrat depuis près de huit mois, sont déterminés à obtenir des augmentations de salaire supérieures à l’inflation après des décennies de baisse des salaires réels, à mettre fin aux conditions de travail pénibles et à obtenir un financement accru pour les systèmes de santé et d’éducation délabrés de la province.
Une travailleuse faisant du piquetage devant le campus du centre-ville de Montréal du CHUM (Centre hospitalier de l’Université de Montréal) a exprimé son indignation à un journaliste du World Socialist Web Site devant l’état des soins de santé publics et le fait que ses jeunes collègues n’ont pas les moyens d’acheter une maison. Elle portait une pancarte qui soulignait la surexploitation par le gouvernement de ceux qu’il avait brièvement encensés au début de la pandémie de COVID-19. On pouvait y lire : «D’ange gardien à moins que rien».
Trois autres syndicats du secteur public qui négocient séparément du Front commun ont également appelé à des débrayages pour la fin de la semaine. La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui négocie au nom de 80.000 infirmières, aides-infirmières et autres professionnels de la santé, a appelé à une grève de deux jours pour jeudi et vendredi. La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) a promis de lancer une grève «illimitée» de ses 65.000 membres enseignants à partir de jeudi.
Le chevauchement des grèves signifie que le jeudi 23 novembre, la grande majorité des 625.000 travailleurs du secteur public du Québec seront officiellement en grève, ce qui en fera, ne serait-ce que pour une journée, l’une des plus grandes grèves de l’histoire du Québec.
Soutenu par l’élite dirigeante du Canada, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ouvertement favorable aux grandes entreprises et à la politique du «Québec d’abord», est déterminé à imposer des reculs contractuels d’une durée de cinq ans, y compris des réductions des salaires réels et des pensions des travailleurs, ainsi qu’une augmentation de la charge de travail. Pour illustrer le type de changements régressifs que le gouvernement cherche à imposer, il demande que les heures supplémentaires des infirmières, quelle que soit la durée de leur quart de travail, ne soient dorénavant rémunérées que si elles ont travaillé une semaine à temps plein.
En grande pompe, le gouvernement a présenté une offre «révisée» dérisoire au début du mois de novembre. Elle prévoyait une augmentation supplémentaire des salaires de seulement 1,3 %, étalée sur cinq ans, ce qui portait l’augmentation totale des salaires proposée par le gouvernement à un maigre 10,3 %.
Cette présentation a été suivie d’une «mise à jour économique» du gouvernement dans laquelle le ministre des Finances, Éric Girard, a brossé un tableau sombre de la situation financière du gouvernement pour justifier l’affirmation arrogante de la CAQ selon laquelle il n’y a «pas d’argent» pour améliorer les services publics ainsi que les salaires et les conditions de travail des travailleurs qui les administrent. En fait, le gouvernement de la CAQ accorde des milliards de dollars en subventions et en réductions d’impôts aux grandes entreprises et aux riches. Il appuie aussi sans réserve le gouvernement Trudeau qui détourne des dizaines de milliards de dollars, qui pourraient satisfaire des besoins sociaux criants, pour financer de nouvelles flottes d’avions et de navires de guerre et s’associer à Washington pour faire la guerre à la Russie, soutenir le génocide israélien contre les Palestiniens et se préparer à la guerre contre la Chine.
Mardi, l’humeur était à la fête sur les centaines de lignes de piquetage qui entouraient les écoles, les cégeps, les hôpitaux et les CLSC (cliniques locales de santé) à travers la province. Après avoir voté il y a plusieurs semaines, à des majorités de 90 % et plus, en faveur d’une grève illimitée, les travailleurs étaient heureux de voir que leur pouvoir collectif était enfin mobilisé, même si ce n’était que partiellement.
Les 10.000 membres du Syndicat de Champlain, affilié à la CSQ, ainsi que 7000 éducateurs et membres du personnel de soutien scolaire, certains accompagnés de leurs enfants, se sont rassemblés dans un parc de Longueuil, sur la rive sud de Montréal. Beaucoup portaient des pancartes faites maison qui dénonçaient de manière incisive les offres de contrat du premier ministre François Legault et de la présidente du Trésor Sonia LeBel. Certains ont mentionné les milliards de subventions accordées par le gouvernement au fabricant de batteries Northvolt.
La plupart des travailleurs qui se sont entretenus avec le WSWS ont convenu qu’une grève de protestation de trois jours ne permettrait pas d’obtenir leurs revendications et qu’il faudrait au moins une grève générale du secteur public.
Les appareils syndicaux pro-capitalistes, quant à eux, s’efforcent de contenir et de réprimer le mouvement de grève grandissant, tout comme ils sont complices de l’imposition d’un cycle d’austérité après l’autre depuis des décennies.
Lors du rassemblement du Syndicat de Champlain mardi, les représentants syndicaux se sont contentés de se plaindre des conditions de travail de plus en plus impossibles pour les éducateurs en raison de l’augmentation du nombre d’élèves par classe, de l’insuffisance des ressources et de l’explosion des problèmes de société dans les salles de classe. Bien que la CSQ fasse partie du Front commun, pas un mot n’a été dit sur les revendications des travailleurs des hôpitaux et sur la défense du système de santé publique, sans parler de questions politiques plus larges comme la privatisation, la criminalisation des luttes des travailleurs, l’inégalité sociale endémique et la guerre.
Les travailleurs sont manifestement sur une trajectoire de collision avec le gouvernement de la CAQ. Mais ils remettent aussi objectivement en question le grand capital canadien dans son ensemble, qui soutient pleinement la baisse des salaires réels des travailleurs et l’affaiblissement des services publics, dans le double but de financer les priorités de la classe dirigeante (réductions d’impôts, subventions aux entreprises et augmentation des dépenses militaires) et de créer, au sein des sections les plus privilégiées de la classe moyenne, un groupe d’intérêt pour la privatisation des soins de santé et de l’éducation.
Pourtant, les syndicats font tout pour maintenir la lutte des travailleurs du secteur public dans le carcan d’une négociation collective étroite, dans laquelle le gouvernement fixe toutes les règles, et dans le cadre réactionnaire de la politique de l’establishment québécois.
Ce qu’ils craignent le plus est que la lutte des travailleurs du secteur public québécois devienne le catalyseur d’un soulèvement ouvrier plus large contre l’austérité et la guerre à travers le Canada. Un mouvement qui briserait les cadres politico-idéologiques nationalistes québécois et canadiens qui servent à maintenir la domination de l’élite capitaliste et le partenariat corporatiste anti-ouvrier que la bureaucratie syndicale a forgé avec elle.
La classe ouvrière éprouve une grande sympathie pour les travailleurs du secteur public et reconnaît que, quelles que soient les difficultés temporaires causées par la fermeture d’écoles et de programmes de garde d’enfants et le retard des procédures hospitalières, ils se battent pour l’amélioration des services publics qui profiteront à tous les travailleurs.
Cependant, les syndicats ne font rien pour mobiliser ce soutien. Ils n’avertissent pas systématiquement les travailleurs des préparatifs du gouvernement de la CAQ en vue d’utiliser une loi spéciale de retour au travail qui criminaliserait les grèves du secteur public et imposerait des reculs par décret, comme les gouvernements libéraux et du Parti Québécois l’ont fait à maintes reprises dans le passé.
Au lieu de cela, ils se concentrent sur des appels au premier ministre de la CAQ, François Legault, pour qu’il «entende raison» et sur des appels futiles à son gouvernement pour qu’il «prenne les négociations au sérieux». Lundi, les dirigeants du Front commun ont applaudi l’annonce du gouvernement selon laquelle il avait cédé à leur demande de nommer un médiateur pour aider les négociations à la table centrale. Les syndicats ont déclaré triomphalement que cela n’avait jamais été fait auparavant.
Le rôle des bureaucraties syndicales de la FIQ et de la FAE n’est pas différent. Bien que l’ensemble de la classe ouvrière soit visé par le programme d’austérité de la CAQ, elles cherchent à conclure des ententes distinctes avec le gouvernement pour des raisons sectorielles : les infirmières sont un «cas spécial» (FIQ) et «seuls les enseignants peuvent négocier pour les enseignants» (FAE).
Dans une interview publiée mardi, la présidente de la FAE, Mélanie Hubert, a indiqué que les bureaucrates de la FAE, apparemment plus militants, se plieront à une loi anti-grève sans se battre. Lorsqu’on lui a demandé si elle craignait que le gouvernement Legault ne finisse par criminaliser la «grève illimitée» que la FAE s’apprête à lancer jeudi, Hubert a répondu : «Mater les profs à court terme, ça fonctionnera peut-être», mais cela minerait le système d’éducation publique. Comme si le gouvernement se souciait d’assurer un système d’éducation publique de qualité !
Les syndicats du Canada anglais, pour leur part, occultent activement la lutte des travailleurs du secteur public québécois, ne font rien pour informer leurs membres à ce sujet, sans parler de la mobilisation de la classe ouvrière pour les soutenir dans leur confrontation avec le gouvernement de la CAQ.
Dans une déclaration distribuée aux grévistes mardi, les partisans du Parti de l’égalité socialiste (Canada) ont prévenu qu’à moins que les travailleurs de base ne prennent la lutte en main, les bureaucrates syndicaux la mèneront à sa perte. Le communiqué exhorte les travailleurs du secteur public à créer des comités de la base, totalement indépendants des appareils syndicaux corporatistes. «Ces comités, explique la déclaration, pourront mobiliser les 600.000 travailleurs du secteur public et le soutien actif de tous les travailleurs – à l’échelle provinciale, canadienne et nord-américaine – dans une contre-offensive ouvrière contre l’austérité et la guerre.
La déclaration rappelle les leçons tirées de la lutte militante menée en novembre dernier par 55.000 travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario : «Ils ont défié une loi anti-grève adoptée par le gouvernement conservateur ontarien de Doug Ford, faisant naître un puissant sentiment pour une grève générale provinciale. Mais les principaux syndicats canadiens sont intervenus pour sauver le gouvernement Ford. Mettant fin à la grève en échange d’un retrait de la loi draconienne, ils ont permis à Ford d’imposer une nouvelle convention collective pleine de concessions sur les travailleurs.
Il y a une double leçon à tirer pour les travailleurs du secteur public au Québec: 1) comme Ford, le gouvernement Legault est beaucoup plus faible qu’il ne parait et sera rapidement mis sur la défensive dès qu’ils entreront ouvertement en lutte contre lui; 2) une telle lutte ne doit pas être laissée aux mains de la bureaucratie syndicale: les travailleurs doivent former des comités de base pour élargir leur lutte en un mouvement politique de masse contre la guerre, l’austérité et les inégalités sociales et pour un gouvernement ouvrier.»