La direction du syndicat automobile UAW (United Auto Workers) est apparemment dans une crise face à l’opposition généralisée de la base à son contrat de capitulation chez General Motors, qualifié d’«historique» par le président du syndicat Shawn Fain et par le gouvernement Biden. Bien que le compteur de votes de l’UAW indique que le contrat a été approuvé de justesse, l’UAW n’avait pas encore annoncé officiellement la ratification du contrat vendredi soir. Des informations de presse avaient auparavant indiqué que Fain devait s’adresser aux membres de l’UAW et annoncer les résultats dans un direct vidéo vendredi.
Les travailleurs d’une série de grandes usines d’assemblage ont voté contre le contrat, ce qui a conduit les médias pas plus tard que mercredi à prédire un rejet du contrat. Mais la tendance aurait été renversée par un vote positif massif à l’usine GM d’Arlington, au Texas.
Les travailleurs de GM ont protesté contre le fait qu’on les ait forcés à voter dans les usines, sous l’œil des directions et caméras de l’entreprise. Des informations font état sur Facebook d’irrégularités dans le vote à Arlington, dont des affirmations qu’on avait laissé les urnes ouvertes et sans surveillance, et qu’on avait obligé les travailleurs à inscrire leur vote au crayon à papier.
Plus important encore, 1.263 travailleurs de l’usine de batteries pour véhicules électriques (VE) Ultium Cells à Lordstown (Ohio) et environ 1.000 travailleurs de GM Subsystems LLC ont été inclus dans le total des votes de l’UAW au plan national. Ces travailleurs ne faisaient techniquement pas encore partie de l’unité de négociation de GM, mais auraient voté à une large majorité en faveur de l’accord.
Les travailleurs d'Ultium et de GM Subsystems ont reçu des augmentations globales plus fortes que les salariés réguliers de GM. Chez Ultium cependant, ils sont toujours enfermés dans un palier inférieur et rémunérés bien en dessous des travailleurs chevronnés de GM.
Le fait que les votes d'Ultium et de GM Subsystems aient été comptabilisés dans le total de la ratification du contrat a suscité la colère des travailleurs sur Facebook. L’un d’eux écrit:
Pour l'instant, ça a l’air louche et de la filouterie. J'avais confiance en Fain. Mais plus maintenant. Le contrat est aussi mauvais que les précédents. Je n'ai toujours pas récupéré toute mon ancienneté. J'ai perdu neuf ans bien que j'aie travaillé pour GM. Mais parce que j'ai été transféré d'un CCA [Customer Care and Aftersales], on m’a traité comme un malvenu. Ils n'arrêtent pas de réviser les paliers.
Il semble de plus en plus probable que les travailleurs de GM feront officiellement appel de la «ratification» de l’UAW. Jeudi, le président des négociations de la section locale 2209, Rich LeTourneau, de l’usine GM Fort Wayne Assembly, a déclaré à la radio publique WBOI du nord-est de l’Indiana que le résultat serait probablement contesté en raison d’irrégularités, notamment le fait que les travailleurs d’Ultium et de GM Subsystems aient été autorisés à voter. Les ouvriers de production de l’usine de Fort Wayne ont rejeté le contrat 1.922 votes contre 1.147, 62 pour cent contre.
Selon WBOI, «les membres de l’UAW ont 45 jours pour faire appel avant que le vote ne soit entériné». LeTourneau a déclaré que les dirigeants de l’UAW lui avaient dit que si l’accord de principe n’était pas ratifié, ils retourneraient à la table des négociations sans relancer la grève”.
« Il a déclaré que si la section 2209 ne déposait pas de recours, “quelqu’un le ferait”. Il pense que l’appel sera déposé dans les jours qui viennent».
Dans l’ensemble, le système de suivi des votes de l’UAW indique que le contrat GM a été adopté à 53,24 pour cent contre 46,76 chez les travailleurs de la production GM et par 54,74 pour cent contre 45,26 dans l’ensemble, si l’on ajoute les votes des ouvriers qualifiés. Selon les statuts de l’UAW, les travailleurs de la production et les ouvriers spécialisés doivent tous deux voter oui à la majorité simple pour que le contrat soit ratifié.
Des travailleurs ont contacté le World Socialist Web Site au sujet d’irrégularités de vote dans les usines Ford et Stellantis également. Les chiffres publiés par l’UAW indiquent que les contrats dans les deux entreprises étaient en passe d’être ratifiés, mais avec une forte opposition, y compris des rejets de contrats par les travailleurs de grandes usines comme Ford Kentucky Truck et le complexe Stellantis Jeep à Toledo.
Les témoignages de plus en plus nombreux de travailleurs sur les irrégularités du vote soulignent l’importance de la revendication formulée par le World Socialist Web Site d’un audit complet et indépendant du vote, dont un examen de comment les bulletins de vote ont été traités. L’audit doit se faire sous la supervision de comités de travailleurs de confiance de la base, élus dans les ateliers. Ces comités doivent recueillir les témoignages des travailleurs sur les irrégularités et les cas d’intimidation.
Alors que les trois constructeurs automobiles de Detroit faisaient passer en force leurs contrats, l’UAW forçait les travailleurs de Mack Trucks à revoter sur un contrat qu’ils avaient déjà rejeté à 3 contre 1 il y a plus d’un mois. L’UAW a mis aux travailleurs le pistolet sur la tempe en leur disant que s’ils rejetaient l’accord, on les remplacerait par des briseurs de grève.
Vendredi, l’UAW a également annoncé la conclusion d’un contrat provisoire de cinq ans avec trois casinos de Détroit, dans le cadre d’une grève à laquelle participe une coalition de syndicats couvrant quelque 3.700 employés de casino. En outre, l’UAW a annoncé une prolongation de contrat de dernière minute chez Allison Transmission, près d’Indianapolis (Indiana), bloquant ainsi une grève potentielle de 1.700 travailleurs dans cette usine, malgré un vote d’autorisation de grève de 99 pour cent.
Même si les totaux de votes chez les constructeurs automobiles de Détroit sont considérés comme exacts, ils ont été obtenus par les méthodes habituelles de mensonges et d’intimidation utilisées par l’appareil de l’UAW. Dès le début des négociations, les travailleurs ont été soumis à une propagande médiatique incessante, renforcée par le gouvernement Biden et qualifiant les revendications de l’équipe Fain et tout accord éventuel d’«historiques».
Au lieu de mobiliser toute la force des membres de l'UAW contre les constructeurs, le syndicat a divisé les travailleurs en organisant de fausses grèves 'debout', qui ont permis que la grande majorité des travailleurs restent au travail et produisent des bénéfices pour les entreprises, tandis que d'autres participaient au piquet de grève pour juste 500 dollars d'indemnités de grève par semaine.
«On ne devrait pas faire confiance à ce que l’UAW raconte sur le vote»
Un membre dirigeant du comité de la base de l’usine Stellantis Warren Truck a déclaré à propos du vote chez General Motors:
Le syndicat a utilisé des tactiques sales pour faire passer cela chez GM. Il a utilisé les travailleurs d’Ultium et de GM Subsystems comme pions pour obtenir suffisamment de votes. Le syndicat ne se soucie pas d’eux, il voulait juste obtenir leurs votes.
Les responsables syndicaux montent les travailleurs les uns contre les autres et aiment nous voir nous battre entre nous. Je n’en veux pas à quelqu’un parce qu’il fait partie d’une classe qui gagne moins d’argent. Je ne vais pas le regarder de haut. Je suis passé par là, je gagnais 15,78 dollars de l’heure comme intérimaire et j’avais du mal à joindre les deux bouts.
On ne devrait pas se fier à ce que dit l’UAW sur le vote. Pourquoi ne pouvons-nous pas voir le décompte des voix? Pourquoi n’y avait-il pas de travailleurs de la base pour superviser le décompte? Ils nous disent toujours une chose et font le contraire. Si la majorité avait voté «non», ils auraient trouvé un moyen de dire que c’était «oui». Cela fait 30 à 40 ans qu’ils nous font ces sales coups.
Un autre membre du comité de la base de Warren Truck a déclaré à propos du vote chez General Motors: «Pourquoi les faire voter dans l’usine? Ça n’est pas correct. Ils devraient voter au local syndical. La direction n’aurait jamais dû être là. Pour moi, ça ne doit pas se produire. C’est comme de la fraude».
La puissante opposition qui s'est manifestée lors des votes sur les contrats montre le gouffre qui sépare la bureaucratie corrompue et hautement privilégiée de l'UAW de la grande masse des travailleurs des usines automobiles. L'appareil de l'UAW dirigé par Shawn Fain et ses protecteurs au gouvernement Biden pensaient pouvoir faire passer ces accords pourris sans trop de mal, en s'appuyant sur des astuces de carnaval et des tactiques de marketing sophistiquées. Mais en tentant d'imposer les exigences des trusts, la bureaucratie de l'UAW s'est démasquée encore plus comme homme de paille du patronat.
Loin d'être 'historiques', les contrats ne rétablissent pas les salaires abandonnés lors de concessions passées aux trusts, ils ne rétablissent pas les pensions et les soins de santé pour les retraités et ne mettent pas fin aux systèmes abusifs d'intérim et de paliers. De plus, ces contrats exposent les travailleurs à des pertes d'emploi massives lors de la transition vers les VE.
La lutte des ouvriers de l'automobile fait partie d’une recrudescence mondiale de la lutte des classes contre les inégalités massives, les attaques contre l'infrastructure sociale et l'intensification des guerres. Pour faire avancer leur lutte, les travailleurs de l'automobile doivent rejoindre et développer le Réseau des comités de la base des travailleurs de l'automobile, au sein de l'Alliance internationale des travailleurs pour les comités de base (initiales anglaises IWA-RFC).
(Article paru en anglais le 18 novembre 2023)