Alors que le syndicat américain des scénaristes WGA (Writers Guild of America) tentait d’organiser la ratification d’un accord au rabais début octobre, les événements du Moyen-Orient ont ouvert un gouffre entre les bureaucraties syndicales alignées sur l’administration belliciste de Biden et les nombreux scénaristes de la base, acteurs et réalisateurs opposés au génocide israélien à Gaza, un crime qui a coûté la vie à 11 000 Palestiniens à ce jour, dont la moitié sont des enfants.
La réponse immédiate et instinctive du WGA a été un soutien sans réserve à l’impérialisme américain: « Nous tous, membres de la direction du WGA, sommes horrifiés par les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre », ont déclaré la patronne du WGA Ouest, Meredith Stiehm, la vice-présidente Michele Mulroney et la trésorière Betsy Thomas dans une déclaration à leurs membres.
Sur un ton similaire, le syndicat des acteurs SAG-AFTRA (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists), qui concocte actuellement un accord au rabais contre ses propres membres, a affirmé: «L’attaque [du 7 octobre] était une violation fondamentale des droits humains et de la dignité. Rien ne justifie le meurtre et l’enlèvement de civils. Nous déplorons les pertes de vies humaines et demandons instamment le retour sain et sauf des personnes portées disparues et retenues en otages. Nous sommes unis contre la haine et la violence et prions pour la paix.»
L’Association des réalisateurs d’Amérique (DGA) elle, a remporté la palme de l’ignorance historique, faisant l’amalgame entre opposition aux politiques fascistes de nettoyage ethnique du sionisme et antisémitisme: « La DGA condamne sans équivoque le terrorisme et se joint aux nombreuses voix de notre communauté dénonçant les récentes attaques terroristes du Hamas en Israël et la violence contre des civils innocents», indique son communiqué. «Nous nous opposons à la propagation croissante de l’antisémitisme ici aux États-Unis et à l’étranger, et restons engagés dans nos actions, paroles et actes à soutenir le peuple juif.»
Ces positions des syndicats les placent fermement dans les traditions de leurs prédécesseurs syndicalistes, qui, pendant la guerre froide, rejoignirent la chasse aux sorcières anticommuniste et contribuèrent avec enthousiasme à la purge des personnalités et idées de gauche à Hollywood. Les responsables actuels sont tout aussi lâches et corrompus que leurs homologues de la fin des années 40 et du début des années 50.
Plus de 330 membres des trois syndicats ont répondu de manière anonyme (par crainte de représailles) en condamnant les déclarations des directions, exprimant leurs «inquiétudes face aux récentes campagnes de pression menées par certains membres éminents de nos syndicats pour publier des déclarations en faveur d’Israël en plein siège continu de Gaza. Même si nous apprécions pleinement la diversité des opinions au sein de nos syndicats, nous croyons fermement que si nos syndicats publient de telles déclarations, elles doivent être fondées sur un engagement profond en faveur de la justice et des droits de l'homme POUR TOUS. »
La lettre souligne en outre la position difficile des artistes dans un environnement néo-maccarthyste: «En tant que conteurs, les récits que nous créons comptent et le langage que nous utilisons a des conséquences. Cela est particulièrement vrai à une époque où beaucoup d’entre nous qui s’opposent au génocide ne peuvent même pas prendre publiquement cette position minimale sans craindre d’être dénoncé ou mis sur une liste noire. Le langage que d’autres ont choisi a coûté des vies, tant ici aux États-Unis qu’à l’étranger. Tout récemment, nous avons été tragiquement témoins du meurtre d’un enfant palestinien de six ans, Wadea Al- Fayoume, à Chicago, un événement horrifiant qui ne peut être dissocié du récit plus large et de ses conséquences. »
Une deuxième lettre appelait ouvertement à un cessez-le-feu immédiat. Elle faisait remarquer qu’«au moment où nous écrivons ces lignes, notre lettre porte les initiales de plus de 300 membres syndicaux du WGA, du DGA et du SAG-AFTRA, dont beaucoup sont juifs et dont la plupart n’ont entendu parler de notre lettre que par le bouche à oreille ».
Ces déclarations de principe étaient inacceptables pour l’élite hollywoodienne et les dirigeants syndicaux qui la servent. Deadline a publié une attaque pro-sioniste calomnieuse de l’écrivain Michael Seitzman, accusant l’opposition de «gestion de l’information» et tentant d’obscurcir le caractère de la campagne actuelle de meurtres de masse menée par les Forces de défense israéliennes et le gouvernement Netanyahou.
L’opposition a répondu de manière réfléchie et mesurée à ces calomnies, démystifiant le récit que l’attaque du 7 octobre n’était pas provoquée et définissant le génocide comme « un crime commis dans l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en totalité ou en partie», (souligné dans l'original), une définition qui s'applique à juste titre à l'attaque actuelle d'Israël sur Gaza.
Le WSWS a contacté le groupe, qui se fait appeler «WGA for Peace» et l'organisation a accepté de commenter de manière anonyme.
«De nombreux scénaristes ont reconnu que ces déclarations [pro-israéliennes, du syndicat officiel] alimentaient un récit unilatéral qui conduirait à l'escalade du génocide en Palestine à laquelle nous assistons aujourd'hui», explique le groupe «et ils étaient spécifiquement sensible au fait que si le WGA maintenait ce discours, cela nuirait davantage aux membres musulmans et arabes du syndicat. Individuellement, ces scénaristes ont commencé à s'exprimer et à se mettre en contact les uns les autres.
«Il a été rapidement confirmé que le WGA prévoyait en fait de publier une déclaration malgré nos efforts antérieurs», poursuit la réponse du WGA pour la Paix à nos questions. « En tant que travailleurs de niveau inférieur ou intermédiaire, nous savions que si nous voulions réussir, nous devions faire preuve publiquement de notre force collective. Cela a conduit à notre lettre ouverte anonyme . Il était alors clair que ces problèmes allaient au-delà d’empêcher la seule déclaration d’un seul syndicat, et les membres d’autres syndicats se sont rapidement joints à ces efforts. »
L’organisation a souligné le gouffre entre l’opposition de masse au sionisme et la politique de l’impérialisme américain: «Il n’y a jamais eu d’approche démocratique aux questions palestiniennes. Avec le soutien des hommes politiques des deux principaux partis, 34 États ont adopté des lois qui portent atteinte à nos droits du premier amendement et interdisent l’organisation de boycotts visant Israël. Selon un sondage, 66 % des Américains souhaitent actuellement un cessez-le-feu, mais moins de 4 % du Congrès le soutiennent. Pendant ce temps, il existe de puissantes organisations qui existent spécifiquement pour harceler et faire taire toute critique d’Israël.»
Plus précisément, «Hollywood en particulier n’est pas conçu pour protéger ceux qui parlent contre les puissants en général, et cela doit changer. Tout récemment (article en anglais), l'un des plus grands promoteurs de l'industrie a été évincé de sa position de leader pour avoir partagé une simple déclaration: ‘Vous êtes actuellement en train d'apprendre qui soutient le génocide’, par exemple. Il est indéniable que nous portons désormais une cible dans le dos, c'est pourquoi nous restons anonymes pour les besoins de cette campagne particulière, même si beaucoup d'entre nous continuent de s'organiser autour de cette question aux côtés de nombreux frères et sœurs juifs dans nos vies personnelles.
Ce qui prend forme, c’est une nouvelle tendance à la chasse aux sorcières, que le groupe a qualifiée à juste titre de «nouvelle ère du maccarthysme»: «Historiquement, la dangereuse censure de l’ère McCarthy a été utilisée pour affaiblir le pouvoir des syndicats d’Hollywood en utilisant des accusations de communisme pour faire taire les organisateurs syndicaux.» WGA pour la Paix avertit : «nous devons être vigilants pour empêcher que cette terrible histoire ne se répète, si ce n’est pour le bien de la justice et de l’équité, du moins pour protéger les acquis que nous avons réalisés en tant que mouvement ouvrier».
L’attaque contre la liberté d’expression est bel et bien en marche, car «certains de nos signataires ont signalé avoir été licenciés, dénoncés et menacés d’être mis sur liste noire par de puissants dirigeants de l’industrie, pour avoir pris la parole au nom des Palestiniens. D’autres ont signalé avoir été harcelés par leurs supérieurs pour ne pas avoir signé la lettre ouverte pro-israélienne, et nous avons nous-mêmes reçu des courriels de menaces de la part de certains opérateurs puissants ».
Le groupe a commenté le rôle ignoble joué par la «gauche» du Parti démocrate en soutenant l’impérialisme américain: «Il existe de nombreux facteurs qui contribuent au soutien unilatéral d’Israël dans notre pays […] En fin de compte, tout se résume à ce dont l’Amérique a besoin pour assurer son pouvoir dans une région qui n’est pas assez alignée sur elle politiquement. Ce que nous constatons, c’est que même nos politiciens de gauche s’efforcent de préserver l’empire américain à tout prix, et l’empire américain a autant besoin d’Israël qu’Israël de l’empire américain.»
WGA pour la Paix a fait une distinction importante entre oppresseurs et opprimés: «Vu les milliards de dollars américains qui financent le complexe militaro-industriel israélien – les États-Unis ont donné à Israël plus d’aide que toute autre nation depuis la Seconde Guerre mondiale, lui accordant plus de 260 milliards de dollars – il ne fait aucun doute pour nous qu’il y a ici un oppresseur évident et, en tant que citoyens américains, nous sommes responsables de ses actes. Selon un rapport d’Amnesty International de 2022, les Palestiniens sont soumis sous la domination israélienne à la saisie massive de leurs terres et de leurs biens, aux meurtres, aux transferts forcés, à des restrictions drastiques de déplacement et au déni de nationalité et de citoyenneté. Ce système a été qualifié de façon persistante de régime d’apartheid au regard du droit international. Là où il y a d’un côté un régime militaro-industriel et colonial et de l’autre un groupe colonisé, il existe une dynamique de pouvoir non équilibrée. Les Palestiniens ont essayé à maintes reprises toutes les autres méthodes de résistance, pour ensuite se heurter à davantage de violence.»
Dans ses réponses au WSWS, le groupe a largement partagé ses inquiétudes concernant son secteur: «La pression visant à condamner spécifiquement le Hamas par un groupe de puissants producteurs de spectacles et le silence qui a suivi sur les actes actuels de l’armée israélienne sont grotesquement partiels et révélateurs de l’état de notre industrie. Un manque de soutien aux actions d'Israël et/ou tout soutien à la cause palestinienne est immédiatement qualifié d'antisémite, et ce manque de nuance dans le discours est pour nous problématique et inquiétant à l’extrême».
Quant aux actions immédiates du groupe, «nous appelons actuellement le DGA et le SAG-AFTRA à retirer leurs déclarations qui équivalent à un soutien aux vies israéliennes aux dépens des vies Palestiniennes, et nous appelons tous les syndicats à réaffirmer leur engagement à protéger la position économique et professionnelle de chaque travailleur, même ou surtout s'il s'exprime au nom des faibles ».
Ces prises de position traduisent un développement important et nous encourageons tout acte d’opposition au massacre qui se déroule à Gaza et à ceux qui l’approuvent à Hollywood.
(Article paru en anglais le 11 novembre 2023)