Le Credit Suisse et le pouvoir de l’argent

Pour éviter d’être entraîné dans le gouffre par la deuxième banque du pays, le gouvernement à Berne a confié le destin de la Suisse à la première banque du pays, quoi qu’il arrive. Tel est le sens de la décision prise dimanche de laisser UBS s’emparer du Credit Suisse (CS) et de couvrir le risque de cette fusion. Cette décision montre clairement que ce n’est pas le peuple, mais le grand capital qui détermine la politique.

Les institutions financières figurent toutes deux sur la liste des 30 «banques d’importance systémique mondiale» considérées comme «trop grosses pour faire faillite». La fusion crée une banque monstrueuse dont le bilan total s’élève à 1500 milliards de francs suisses (CHF), soit près de deux fois le produit intérieur brut de la Suisse, qui s’élevait à 771 milliards de CHF en 2022. S’il part en vrille, il déclenchera un tsunami qui entraînera le budget de l’État suisse et une partie de l’économie mondiale dans l’abîme.

«Cela fait courir un risque énorme au gouvernement suisse et à la Banque nationale, écrit l’hebdomadaire allemand Die Zeit. Si cet institut monstrueux a des problèmes, il prend en otage tout le pays et sa population.»

Le rachat de son concurrent promet d’être une affaire lucrative pour UBS. Elle a payé 3 milliards de francs en actions pour la banque dont le total du bilan s’élevait à 531 milliards de francs et qui valait encore 7,4 milliards de francs au moment de la transaction. 22,5 actions CS ont été échangées contre 1 action UBS.

Néanmoins, la Banque nationale suisse (BNS) et la Confédération ont couvert les risques de la fusion avec plus de 200 milliards de francs de fonds publics. À titre de comparaison, le budget fédéral suisse s’élèvera à environ 80 milliards de francs suisses en 2023. La BNS a fourni des liquidités extraordinaires pour un montant total de 200 milliards de francs, dont 100 milliards sont garantis par la Confédération. Des garanties supplémentaires de 9 milliards de francs suisses ont été accordées à UBS pour les pertes éventuelles résultant de l’acquisition de certaines unités d’affaires du CS.

Ni le parlement ni les citoyens, qui disposent d’un large droit de référendum en Suisse, n’ont été consultés. Même les actionnaires des deux banques n’ont pas pu participer. Le gouvernement a décidé par le droit d’urgence. Dans certains cas, il n’y avait même pas de base légale. Par exemple, la loi sur la garantie de 100 milliards de francs à la banque centrale ne sera promulguée que dans les mois à venir.

Alors que les représentants du gouvernement, de la banque centrale et de l’autorité de régulation financière ont constamment cherché à rassurer les marchés en parlant de risques «gérables», ceux-ci sont en réalité énormes. «Bien sûr, le scénario de l’effondrement n’est pas exclu, commente Der Spiegel. On ne sait toujours pas si cette fusion d’urgence en Suisse est le point final d’un court tour de montagnes russes de dix jours sur les marchés financiers ou le début d’un tour infernal qui plongera également d’autres institutions dans l’abîme, car la panique se propage partout.»

Lundi, après l’annonce de la fusion, les bourses ont réagi de façon extrêmement nerveuse. Les cours des actions des banques se sont notamment effondrés. Le cours de l’action du Credit Suisse a chuté de 63 %, tombant en dessous du prix d’achat convenu. UBS elle-même a perdu 13 %, tandis que la Deutsche Bank, la Commerzbank et BNP Paribas ont temporairement perdu environ 8 %.

Si UBS devient elle aussi la proie de la crise bancaire, cela pourrait se traduire par des pertes représentant jusqu’à deux fois et demie le budget fédéral annuel de l’État et de la Banque nationale, en raison des garanties et des aides promises. À cela s’ajoutent les conséquences économiques dévastatrices de l’effondrement d’une grande banque dominante. Le gouvernement devient ainsi l’otage d’UBS.

La conférence de presse au cours de laquelle le gouvernement a annoncé la fusion dimanche soir avait quelque chose de surréaliste à cet égard et rappelait La visite de la vieille dame, une pièce tragicomique de Friedrich Dürrenmatt.

Les présidents des deux grandes banques, le président de la Banque nationale et le chef de l’autorité de surveillance financière, censée contrôler les banques, ainsi que le président fédéral Alain Berset (Parti socialiste suisse) et la ministre des Finances Karin Keller-Sutter (Parti libéral-radical) étaient assis côte à côte et se sont assurés mutuellement et à l’unanimité de leur respect et de leur confiance en trois langues. Keller-Sutter n’a pas hésité à affirmer qu’elle avait des comptes personnels dans les deux banques et qu’elle ne retirerait pas son argent.

Pas un mot n’a été dit sur la genèse de cette crise dévastatrice. Pas un mot non plus sur les responsables, ou sur les raisons pour lesquelles, 15 ans après la crise financière de 2008, après que les politiciens aient promis de réglementer le secteur financier et de réduire le nombre de banques «trop grosses pour faire faillite», c’est exactement le contraire qui s’est produit.

En fait, la crise du Credit Suisse est le point culminant d’une évolution dans laquelle les élites financières s’enrichissent sans vergogne aux dépens de la majorité et où les gouvernements et les banques centrales injectent des sommes colossales dans les marchés financiers. La hausse des taux d’intérêt directeurs par les banques centrales provoque maintenant l’éclatement de la bulle financière. Cette crise est l’expression de l’impasse du système capitaliste, qui subordonne tous les domaines de la société à l’accumulation des profits.

Le Credit Suisse est le maillon le plus faible de la chaîne qui s’est rompue, notamment parce qu’il n’hésitait pas à encaisser des fonds. La banque compte parmi ses clients des trafiquants de drogue présumés, des potentats, des politiciens corrompus, ainsi que des fonds spéculatifs risqués. En 20 ans, la direction a approuvé 42 milliards de francs en bonus. Elle a récemment décidé de distribuer 354 millions d’euros à 500 cadres supérieurs, à condition qu’ils gèrent seuls le sauvetage de la banque – comprenant notamment la suppression de 9000 emplois. Même après la fusion avec UBS, ces bonus seront versés comme prévu.

En revanche, les coûts de la crise vont être imposés à la population active sous la forme de mesures d’austérité, de réductions d’avantages sociaux et de suppressions d’emplois. Ainsi, rien qu’en Suisse, 10.000 emplois devraient être supprimés si les deux banques regroupent leurs activités. Ensemble, elles emploient actuellement 123.000 personnes dans le monde, mais UBS prévoit maintenant de réduire par année les coûts de la banque combinée de 8 milliards de francs suisses jusqu’en 2027.

Cette crise bancaire est un signe indéniable du retour de la lutte des classes en Suisse, après avoir été étouffée pendant des décennies par des syndicats serviles et des gouvernements dans lesquels tous les partis, depuis les sociaux-démocrates à l’extrême droite rassemblée dans l’Union démocratique du centre, travaillent ensemble. Cette lutte doit prendre et prendra une direction socialiste.

(Article paru en anglais le 21 mars 2023)

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