La défense malhonnête par Chris Hedges de la horde fasciste du 6 janvier

Le 5 mars, sous le titre « Le lynchage des lamentables », le journaliste Chris Hedges a publié une chronique sur son blog Substack s'opposant à ce que soient poursuivis les participants à l'attaque du Capitole américain par une horde d’extrême-droite, le 6 janvier 2021, qui faisait partie de la tentative de coup d'État ratée de l’ex-président Donald Trump.

La chronique approuve le récit fasciste de l'attaque du 6 janvier comme quoi c’était une protestation inoffensive de citoyens frustrés et privés de leurs droits. Elle dissimule la signification politique des événements de cette journée, la toute première tentative d'un président américain d'annuler une défaite électorale et de rester au pouvoir. Et elle exagère grossièrement la réaction du ministère de la Justice, qu’elle présente comme une persécution excessivement sévère et peut-être illégale de manifestants innocents, alors que c’était une réaction limitée et réticente à une tentative infructueuse de coup d'État.

Des partisans de Trump au Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. [Photo: Flickr?blinkofanaye]

La chronique de Hedges met la réalité politique à l’envers, elle transforme les participants à un putsch politique fasciste cherchant à instaurer une dictature présidentielle, en martyrs dont la poursuite en justice est une attaque flagrante des droits démocratiques.

C’est une chose quand les socialistes avertissent, comme l'ont souvent fait le Socialist Equality Party et le World Socialist Web Site, que la classe ouvrière ne peut compter sur l'État capitaliste pour réprimer les fascistes,et que quelles que soient les mesures répressives qu'il peut être légalement obligé de prendre de temps à autre contre la droite, elles seront employées beaucoup plus largement et brutalement contre la gauche. C'en est une autre de s'opposer à ce que les fascistes soient tenus responsables de vrais crimes de violence, de justifier politiquement leurs actes et de les présenter comme des martyrs devant être défendus.

Une caractéristique habituelle de la répression étatique est la grande disparité entre le traitement des groupes de droite et fascistes, qui se heurtent occasionnellement à la police, mais jouissent d'un soutien et d'une sympathie considérables dans ses rangs, et la violence brutale déchaînée contre la gauche, pas seulement contre les socialistes et les révolutionnaires, mais même contre ceux qui manifestent pour des réformes libérales.

Les leçons de l’histoire

Il y a une longue histoire aux États-Unis de violence de droite sur laquelle l'État capitaliste n’enquête même pas. À l'ère des droits civiques, les assassins d'Emmett Till et de Medgar Evers sont restés des décennies impunis. Il a fallu une lutte soutenue pour demander des comptes aux meurtriers de trois militants du droit de vote dans le Mississippi rural – James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner. Il en a été de même pour les meurtriers de Viola Liuzzo, une ménagère de Detroit travaillant comme bénévole lors de la marche vers Selma, et abattue par une bande du Ku Klux Klan. Parmi les tueurs se trouvait un indicateur du FBI. La Workers League, prédécesseur du Socialist Equality Party, a été obligée de mener une campagne de trois ans dans le mouvement ouvrier, entre 1977 et 1980, pour forcer la police de New York à arrêter les deux assassins identifiés du leader trotskyste Tom Henehan.

Durant la période de la montée du fascisme en Europe après la Première Guerre mondiale, il y eut de nombreux incidents où l’on a juste tapé sur les doigts de ses dirigeants, même lorsqu'ils se livraient à des tentative violentes de renverser le gouvernement. En 1923, Adolf Hitler tenta de renverser le gouvernement de l'État bavarois lors du putsch de Munich. Le putsch a échoué, mais Hitler ne fut condamné qu'à un an de prison, durant lequel il vécut confortablement, consolida son leadership de l'extrême droite allemande et écrivit Mein Kampf. Dans les années précédant son accession au pouvoir en 1933, les nervis nazis qui assassinaient des communistes restaient souvent impunis sous le régime de Weimar.

Le putsch de la brasserie à Munich [Photo by BundesArchiv / CC BY-SA 3.0]

L'événement qui présente la plus grande similitude avec les événements du 6 janvier 2021 est l'attaque fasciste lancée contre le Parlement français le 6 février 1934, où des groupes d'ex-officiers militaires armés, à la tête de bandes fascistes, ont tenté de renverser le gouvernement. La police les a repoussés, tuant 15 fascistes. Mais un jour plus tard, le gouvernement Daladier de centre-gauche est tombé, remplacé par un régime plus à droite, modifiant de manière décisive le cours de la politique française et donnant aux fascistes ce qu'ils voulaient.

La horde qui attaqua le Capitole le 6 janvier 2021 avait encore plus de chances de succès, puisqu'elle avait le soutien du président en exercice et d'une partie importante de l'appareil militaire et du renseignement.

En tant qu'événement politique, l'attaque du Capitole ne doit pas être banalisée et traitée comme l’expression spontanée d'une frustration quant au résultat de l'élection. Quelles que soient les motivations individuelles des individus désorientés et trompés qui ont adhéré au récit de Trump de «l'élection volée», la tentative de coup d'État du 6 janvier était le résultat final d'un complot massif orchestré depuis la Maison Blanche.

Cela fut pour la première fois visible publiquement en juin 2020, dans la réaction de Trump aux manifestations dans tout le pays contre le meurtre par la police de George Floyd à Minneapolis. Il exigea le déploiement de la garde nationale et menaça d'invoquer la loi sur l'insurrection, de déclarer la loi martiale et d'envoyer l'armée. Cela a abouti à sa marche notoire à travers le parc Lafayette, suivi par de hauts responsables, dont le chef d'état-major interarmées en uniforme, pour poser avec une bible devant une église.

Tout au long de l'été 2020, Trump a déployé la police fédérale armée à Portland (Oregon) et dans d'autres villes. Cela a conduit au meurtre par la police de Michael Reinoehl, qui avait fui Portland après avoir tiré en légitime défense sur un agresseur fasciste durant une marche de protestation.

L'attention s'est ensuite portée sur l'élection présidentielle. Tout au long de la campagne d'automne, Trump a déclaré qu'il n'accepterait pas le résultat du scrutin s'il était contre lui. Même son adversaire démocrate Joe Biden a déclaré que sa plus grande crainte était que Trump refuse de quitter la Maison Blanche. Mais Biden n'a rien fait pour préparer les électeurs à la crise post-électorale, déclarant bien plutôt sa confiance que l'appareil militaire et de renseignement imposerait un transfert pacifique du pouvoir, faisant ainsi de lui l'arbitre de la vie politique américaine.

Chris Hedges a choisi d'ignorer la préhistoire du coup d'État. Il s'agit d'une décision politique calculée de sa part, qui contredit ses propres avertissements explicites, avant l'élection présidentielle de novembre 2020, sur des préparatifs fascistes à la violence armée.

Dans un article écrit pour Scheerpost, publié le 8 septembre 2020, Hedges mettait en garde contre un mouvement de droite grandissant, dont les partisans

se tiennent prêts à déchirer des États-Unis inondés d'armes de qualité militaire, incapables de faire face à la crise de la pandémie de Covid-19 et à ses retombées économiques, infestés de forces de police militarisées qui fonctionnent comme des armées intérieures d'occupation et comme des alliés de fait des néo-fascistes.

Anticipant clairement le plan de Trump pour renverser le résultat des élections, Hedges a poursuivi :

Donald Trump et le Parti républicain, ainsi que des médias tels que FOX News, dans le but de conserver le pouvoir, attisent les flammes de la violence, voyant dans l'incitation de foules d'extrême droite une voie vers un État policier implacable.

Le camouflage de la tentative de coup d'État de Trump

Dans une démonstration tout à fait cynique d'amnésie politique calculée, Hedges a choisi d'oublier ses avertissements antérieurs et sa caractérisation des forces mobilisées par Trump. En fait, il n'y a presque aucune référence à Trump dans tout l’article et rien du tout sur son rôle le 6 janvier. Hedges cite l'avocat de la défense Joseph McBride, une source principale de sa chronique, qui nie tout lien entre les Proud Boys qui ont été le fer de lance de l'attaque contre le Capitole et son instigateur à la Maison Blanche.

Hedges ne fait aucune mention de l'instruction de Trump aux Proud Boys, lors d'un débat de campagne télévisé, diffusé dans tout le pays, de « prendre du recul et de rester en alerte ». Il ne mentionne pas non plus l'appel public notoire de Trump pour que ses partisans viennent à Washington le 6 janvier et qu’il termina par la promesse que cela « serait déchaîné ! » Presque tous les accusés du 6 janvier ont cité la convocation de Trump comme raison de leur présence. Hedges ne note pas non plus que l'attaque du 6 janvier fut immédiatement précédée d'un rassemblement devant la Maison Blanche où Trump a ordonné à la horde armée qu'il avait assemblée là avec ses alliés républicains de marcher sur le Capitole et de « se battre comme des diables», sinon « il ne [leur] restera plus de pays ».

Hedges conteste même l'accusation de complot séditieux portée contre une poignée seulement des meneurs de l'attaque du Capitole, alors que la plupart du millier d'affaires instruites par le ministère de la Justice contre des accusés du 6 janvier concerne des infractions ou délits de moindre gravité entraînant des peines de prison faibles ou pas d’emprisonnement. Quant aux accusations les plus graves, il écrit :

Si quelques-uns des organisateurs de la manifestation du 6 janvier, comme Stewart Rhodes, qui a fondé les Oath Keepers, peuvent être coupables de sédition, et même cela est incertain, la grande majorité de ceux qui ont été entraînés dans l'incursion au Capitole n’ont pas commis de crimes graves, ne se sont pas livrés à la violence ou ne savaient même pas ce qu'ils allaient faire à Washington à part protester contre le résultat des élections (italiques ajoutés).

Il ignore les preuves montrant que des membres des Oath Keepers, un autre groupe paramilitaire, avaient apporté des armes à feu et des « valises pleines de munitions » à Washington. Il n'explique pas pourquoi Trump était furieux contre l'usage actif des magnétomètres [détecteurs] avant son discours du 6 janvier, empêchant les fascistes armés de s'approcher de trop près. « Je me fous qu'ils aient des armes », avait déclaré Trump. « Ils ne sont pas là pour me faire du mal. Enlevez ces putains de magnétomètres.»

Hedges décrit la horde de plus d’un millier de personnes comme peut-être trop exubérante, mais ne cherchant qu'à exprimer sa légitime frustration face à l'élection. Il ne pose jamais la question de ce qui se serait passé si ceux qui étaient entrés dans le capitole en franchissant les cordons policiers avaient atteint leur objectif de capturer le vice-président Mike Pence, la présidente de la Chambre Nancy Pelosi, la députée Alexandria Ocasio-Cortez ou un autre personnage éminent du Congrès.

Des membres du Congrès s'abritent dans la galerie de la Chambre alors que des émeutiers tentent de s'introduire dans la Chambre au Capitole, le 6 janvier 2021 à Washington. [AP Photo/Andrew Harnik]

Si on avait installé une potence à l'extérieur du Capitole c’était pour une raison. Il est plus que probable que les parlementaires saisis par les émeutiers auraient été soit tués, soit utilisés comme otages pour faire pression sur le Congrès afin qu'il annule entièrement le vote de certification et négocie les conditions d’un maintien de Trump à la Maison Blanche.

Trump avait très certainement un tel scénario à l'esprit lorsqu'il a exigé que les membres de son escorte des services secrets l'emmène au Capitole pour qu'il puisse conduire la horde à l'intérieur et lancer directement son défi à la certification de l’élection par le Parlement. C'est pourquoi, écumant de rage il a frappé son propre garde de corps quand celui-ci a refusé de l’emmener.

Les assaillants du 6 janvier sont-ils persécutés ?

Hedges consacre une grande partie de sa chronique à des tentatives d’éveiller la sympathie pour ceux qui ont attaqué le Capitole, exagérant les conséquences punitives auxquelles ils sont maintenant confrontés et livrant des histoires déchirantes sur la vie de certains des accusés les plus notoires.

La vérité est que seuls quelques membres dirigeants de milices et des fascistes ultra-violents, comme l'ex-policier de New York et ex-soldat Thomas Webster, ont été condamnés à plusieurs années de prison pour, dans son cas, avoir strangulé un policier et l'avoir frappé avec une hampe de drapeau. La grande majorité de ceux condamnés pour avoir participé au coup d'État raté l’ont été sur des accusations d’infractions ou de délits mineurs et condamnés à de courtes peines de prison, à l'assignation à résidence, à de simples amendes ou à de la probation.

Dans une mise à jour la semaine dernière, le ministère américain de la Justice (initiales anglaises DoJ) a confirmé que sur les « 420 accusés environ » condamnés pour activités criminelles le 6 janvier, un peu moins de la moitié, 200, n'avaient jamais été incarcérés après avoir été reconnus coupables. Au contraire, « environ 100 accusés », écrit le DoJ, « ont été condamnés à une période de détention à domicile », seuls 15 sur ces 100 ayant déjà été condamnés à une période d'incarcération.

Pour ceux qui ont été condamnés à des peines de prison, leur emprisonnement a été bref. Un récent reportage du Washington Post analysait les «peines légères» prononcées contre des criminels du 6 janvier par des juges fédéraux. Il révélait que sur 357 personnes condamnées à ce moment-là, 249, soit 70 pour cent, avaient reçu une peine de moins de deux mois de prison (95), de la détention à domicile (66) ou de la probation (88). Le même article révélait que seules huit personnes avaient alors été condamnées à plus de cinq ans de prison.

Plus important encore, l'architecte du coup d'État, l'ex-président Donald Trump, et ses complices haut-placés du Parti républicain, de l'appareil du renseignement, de l’armée et de la Cour suprême, n’ont toujours pas été inculpés pour avoir tenté de renverser la Constitution.

Le premier profil de Hedges est celui du soi-disant chamane QAnon Jacob Chansley, qui a traversé le Capitole portant un casque à cornes, portant une lance avec un drapeau américain et une peinture bizarre sur le visage et le torse découvert.

Des partisans fascistes du président Donald Trump à l'intérieur du Capitole le 6 janvier 2021. Au centre, Jacob Chansley portant une toque de fourrure avec des cornes: un habitué des événements pro-Trump et un adepte de QAnon . [AP Photo/Manuel Balce Ceneta]

Il dit que le chamane « a été condamné à plus de trois ans de prison » et que Chansley « est un pratiquant de l'ahimsa, un ancien principe indien de non-violence envers tous les êtres vivants, [qui] n'a pas été accusé d'avoir agressé qui que ce soit ».

En fait, Chansley a plaidé coupable il y a deux ans pour une accusation de délit d'obstruction après que les procureurs eurent accepté d'abandonner plusieurs autres accusations dont il faisait l’objet, notamment trouble civil, effraction violente et trouble de l’ordre public. Lors de l’audience de détermination de la peine, en novembre 2021, Chansley a renoncé à QAnon et à Trump et a déclaré au juge: « Je n'ai aucune excuse. Aucune excuse du tout. Mon comportement est indéfendable. »

Hedges ne dit rien sur le caractère fascisant, antisémite et violent de l'idéologie QAnon, qui présente Trump comme une figure libératrice qui massacrera ses adversaires du Parti démocrate et quiconque se mettra en travers de son chemin.

Après avoir blanchi Chansley, Hedges passe au condamné Guy Wesley Reffitt, activiste de [la milice] Threepercenter au Texas. Hedges énumère les nombreux chefs d’accusation pour lesquels Reffitt a été condamné, puis écrit: « L’accusation d'entrave à la justice est venue du fait qu'il a 'menacé' ses deux enfants adolescents pour les empêcher de le dénoncer aux forces de l'ordre. »

L'utilisation de guillemets autour du mot ‘‘menacé’’ est très révélatrice. Il n'y a aucun doute que Reffitt a menacé d'assassiner ses enfants pour l'avoir dénoncé à la police pour avoir participé au coup d'État.

Au cours du procès, Reffitt a confirmé qu'il s'était rendu à Washington le 6 janvier avec une paire de menottes flexibles et un revolver. Les procureurs ont dit au jury, qui a déclaré Reffitt coupable après moins de cinq heures de délibérations, que Reffitt avait l'intention « d'utiliser son arme et ses menottes de style policier pour faire sortir de force les parlementaires du bâtiment et prendre le contrôle du Congrès ».

Quand Reffitt fut retourné au Texas après l'attaque du Capitole, son fils adolescent Jackson, qui a témoigné au procès contre son père, l’a vu dans un reportage télévisé sur le 6 janvier. Au procès, Jackson, alors âgé de 19 ans, a témoigné que son père lui avait dit, ainsi qu'à sa sœur, que s'ils le dénonçaient à la police, ils seraient des « traîtres » et que « les traîtres sont fusillés ».

Hedges défend la droite fasciste

Dans la première phrase de sa chronique, Hedges écrit: « Il y a peu de choses qui m'unissent à ceux qui ont occupé le Capitole le 6 janvier » (italiques ajoutés). Il énumère leurs points de vue nocifs avec lesquels il est vraisemblablement en désaccord – « nationalisme chrétien, suprématie blanche, soutien aveugle à Trump » – mais ne répond pas à la question évidente: qu'est-ce que ce peu de choses? Ce «peu de choses» est une quantité politique indéterminée.

Hedges ne dit rien sur l'affirmation centrale de la droite fasciste, qui fut à la base de l'attaque du 6 janvier, et selon laquelle les élections de 2020 avaient été volées et que Biden était un usurpateur illégitime. Il ignore l'affirmation persistante de Trump qu’il avait remporté une victoire « écrasante », son message aux assaillants alors qu'ils étaient chassés du Capitole et le fondement de sa candidature à la présidence en 2024.

Hedges évite de telles questions, se concentrant plutôt sur ce qu'il présente comme des poursuites brutales contre les assaillants, dont il décrit les actions avec bienveillance comme une « manifestation », une « incursion » ou une « occupation ».

Il écrit:

Les manifestants du 6 janvier n'étaient pas les premiers à occuper les bureaux du Congrès. De jeunes militants écologistes du Sunrise Movement, des militants anti-guerre de Code Pink et même des membres du personnel du Congrès se sont livrés à de nombreuses occupations de bureaux du Congrès et ont interrompu ses sessions. Qu'arrivera-t-il à des groupes tels que Code Pink s'il occupe des bureaux au Congrès avec des républicains aux commandes de la Maison Blanche, du Congrès et des tribunaux? Seront-ils maintenus pendant des années en détention provisoire ? Seront-ils condamnés à de longues peines de prison sur la base d'interprétations douteuses de la loi ? Seront-ils considérés comme des terroristes intérieurs ? Les manifestations et la désobéissance civile deviendront-elles impossibles ?

La comparaison de Code Pink et des militants écologistes aux Proud Boys est grotesque. Ce sont des pacifistes, pas des nervis violents. Ils n'étaient pas armés et n'ont pas pris d'assaut les bureaux du Congrès, cassant les fenêtres et brisant des crânes au passage. Ils cherchaient à faire appel au Congrès pour qu'il écoute leur point de vue, et non à le fermer pour empêcher la certification d'une élection présidentielle, maintenir le président en fonction, en violation de la Constitution américaine, et instaurer effectivement une dictature présidentielle en Amérique.

Encore plus scandaleuse est la comparaison du traitement de certains des assaillants les plus notoires du 6 janvier avec la brutale persécution par l'État de Julian Assange, le fondateur et rédacteur en chef de WikiLeaks, qui a fourni une documentation inestimable des crimes de l'impérialisme américain en Irak, en Afghanistan et dans le reste du monde. Comparer de quelque manière que ce soit les actions héroïques d'Assange à la violence de la racaille fasciste du 6 janvier 2021 est politiquement obscène.

Chris Hedges connaît les circonstances dans lesquelles Assange est détenu et la sentence de 175 années de prison fédérale Supermax qui l’attend s’il est extradé, et il s'est prononcé contre sa persécution. Quel accusé du 6 janvier est confronté à quelque chose de comparable ?

Qui est Joseph McBride ?

Pour étayer ses affirmations de coup monté judiciaire, Hedges inclut une longue interview avec Joseph D. McBride, un avocat représentant un certain nombre d’accusés du 6 janvier. Il présente cet avocat comme un champion des libertés civiles et un défenseur des opprimés, quelqu'un qui a aidé Occupy Wall Street et « a fourni des conseils juridiques gratuits en tant qu'étudiant en droit à ceux qui campaient à Zuccotti Park ».

Il cite McBride, comparant le traitement des accusés du 6 janvier à la campagne soutenue par le gouvernement et visant les musulmans qui a suivi les attentats terroristes du 11 septembre en 2001: « La même chose se produit, sauf qu'elle est appliquée à un nouveau groupe de personnes, principalement des chrétiens blancs, partisans de Trump, pour l'instant. »

Ces sentiments apparemment démocratiques sont cités pour dissimuler le fait que McBride est un partisan inconditionnel de Trump qui évolue dans les hautes sphères de la droite fasciste. Il a servi de conseil à Ali Alexander, l'un des principaux organisateurs de la campagne « Stop the Steal » [Halte au vol], lorsqu'il a témoigné devant la Commission parlementaire sur le 6 Janvier. Alexander est un proche ami de Nick Fuentes, un adorateur d'Hitler.

Des tweets récents de Joseph McBride le montrant en train de dîner avec Donald Trump Jr. et apparaissant sur le podcast du fasciste Steve Bannon. [Photo: @McBrideLawNYC]

Depuis le coup d'État manqué, McBride est apparu dans de nombreux médias d'extrême droite, de War Room du fasciste Steve Bannon à FOX News en passant par Newsmax et One America News. Il a accordé de multiples interviews à l'ex-conseiller de Trump Sebastian Gorka, défendant la cause des accusés du 6 janvier. Lors de la récente conférence CPAC, McBride faisait partie d'un panel avec Donald Trump Jr. et la mère d'Ashli Babbitt pour discuter de la prétendue persécution « injuste » des fantassins de Trump.

Dans une interview de janvier 2023 avec Gorka, McBride expliqua qu'il défendait les « prisonniers politiques » du 6 janvier parce que « je crois que c'est ma vocation [...] c'est ma mission dans la vie. Gagner, perdre ou faire match nul mon équipe et moi-même serons comptés parmi ceux qui ont regardé le communisme en face et dit qu’aux États-Unis d'Amérique, si vous voulez réussir ici, vous allez devoir nous passer sur le corps. C'est le seul moyen, il n'y a pas moyen d’éviter cela. »

Le 24 décembre 2022, McBride tweetait au chef de la minorité démocrate Hakeem Jeffries, «[Black Lives Matter] & ANTIFA ont pillé, brûlé et fait des émeutes pendant des centaines de jours. Des meutes de jeunes gens de couleur pillent encore tous les jours. Vous les encouragez et les envoyez à l’ÉCHEC. Le problème que vous avez ce n'est pas l'extrémisme. Ce sont les républicains blancs MAGA que vous exploitez pour des gains politiques. »

Mais le commentaire le plus vil de McBride est adressé à Hedges lui-même et reproduit sans critique dans sa chronique. Hedges cite, sans objection, la fausse affirmation de McBride que les «chrétiens blancs» persécutés de Trump ne peuvent pas avoir un procès équitable à Washington, car, selon McBride, le «parti pris» existant parmi «les jurés potentiels » est «stupéfiant». Il dit à Hedges: «Ceux éligibles pour être jurés dans DC [District of Columbia] sont empoisonnés de façon irrémédiable. »

Hedges affirme que cela est dû à ce qu'il y a de nombreux fonctionnaires fédéraux dans le district de Columbia, le siège du gouvernement fédéral, et qu'ils pourraient se considérer comme des victimes de l'attaque du 6 janvier. Mais il y a une raison plus évidente pour les racistes et les fascistes de qualifier de potentiels jurés de Washington DC de « contaminés ». La population de la ville, de laquelle on tire les jurés, est à 50 pour cent afro-américaine.

Cela rend l'utilisation par Hedges du terme « lynchage » pour décrire l'emprisonnement et la condamnation d'un petit nombre de nervis fascistes à la fois dégoûtante et provocante. Les «chrétiens blancs» dont le seul crime était de «protester» contre le résultat des élections de 2020 sont «lynchés» par les démocrates à Washington DC avec l'aide de jurys noirs dociles. C'est là de la flagornerie pure et simple envers les suprématistes blancs.

Conclusion

Hedges termine sa chronique à genoux, suppliant « la gauche » d'arrêter la persécution des fantassins de Trump de peur qu'elle ne contrarie les fascistes. « Nous durcissons l'idéologie et la rage de l'extrême droite. Nous transformons ceux qui sont envoyés en prison en prisonniers politiques et en martyrs », conclut-il.

En fait, c'est Hedges qui a transformé les accusés du 6 janvier en martyrs, abandonnant tant son jugement critique que tous les principes politiques qu'il a pu professer autrefois.

Compte tenu de la réputation de Hedges en tant que journaliste de gauche qui a écrit un livre et de nombreux articles sur le danger du fascisme américain, sa défense effrénée de la horde qui a tenté de perpétrer le coup d'État contre lequel il avait précédemment mis en garde sera un choc pour ses nombreux lecteurs. « Que-est-que Hedges est en train de fumer? » s’interrogeront-ils en grand nombre.

Chris Hedges

Hedges a souvent ridiculisé les tentatives des libéraux de développer un dialogue avec les fascistes. Dans son livre de 2006 American Fascists: The Christian Right and the War on America, [Les fascistes américains], Hedges écrit :

Le débat avec la droite chrétienne radicale est inutile. Nous ne pouvons pas atteindre ce mouvement. Il ne veut pas de dialogue. C'est un mouvement basé sur l'émotion et qui ne se soucie pas de la pensée et de la discussion rationnelles. Il n'est pas apaisé parce que John Kerry prie ou que Jimmy Carter enseigne à l'école religieuse du dimanche. Les tentatives naïves de tendre la main à ce mouvement, pour lui assurer que nous aussi, nous sommes chrétiens ou que nous aussi nous nous soucions des valeurs morales, sont vouées à l'échec.

Ce mouvement s’acharne à notre destruction. Les tentatives de nombreux libéraux de faire la paix avec eux seraient comiques si les enjeux n'étaient pas aussi meurtriers. Ces dominationistes détestent le monde libéral et éclairé formé par la Constitution, un monde qu'ils tiennent responsable de la débâcle de leur vie. Ils n'ont qu'un seul but: sa destruction. Alvin Toffler a écrit que si vous n'avez pas de stratégie, vous finissez par faire partie de la stratégie de quelqu'un d'autre.

Dans une chronique beaucoup plus récente, publiée sur Scheerpost le 27 juin 2022, Hedges soulignait la pertinence actuelle de son livre sur le fascisme pour comprendre les événements du 6 janvier 2021 :

Ce livre était un avertissement qu'un fascisme américain, enveloppé dans le drapeau et serrant la croix chrétienne, s'organisait pour éteindre notre démocratie anémique. Cet assaut est très avancé. Le tissu de liaison entre les milices disparates, les théoriciens complotistes QAnon, les militants anti-avortement, les organisations patriotes de droite, les défenseurs du deuxième amendement, les néo-confédérés et les partisans de Trump qui ont pris d'assaut le Capitole le 6 janvier, c’est cet effrayant fascisme chrétien.

Ces derniers mois, Hedges a réalisé ce qui semble être une incroyable transformation politique, qui se montre non seulement dans ce qu'il écrit à présent, mais encore dans ses actuelles activités politiques.

Il y a seulement trois semaines, Hedges se tenait côte à côte avec des libertariens, des antisémites et des éléments des milices d’extrême-droite au rassemblement ‘‘Rage Against the War Machine’’ à Washington, affirmant qu'une alliance « gauche-droite » était le seul moyen de lutter efficacement contre la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine.

Comment expliquer ce changement d'orientation politique de Hedges, qui est passé d'un adversaire acharné des fascistes à leur apologiste docile et à leur allié opportuniste ?

Les marxistes qui ont suivi ses écrits au fil des années ont noté deux caractéristiques importantes de sa vision politique qui font que son orientation actuelle incontestablement de droite n'est pas tout à fait surprenante.

Le premier est le climat de désespoir dont sont pénétrés ses écrits. Ce n'est pas seulement une étrange attirance pour le macabre qui conduit Hedges à illustrer ses chroniques d'images de crânes, de squelettes et d’autres symboles de la mort. Ces images traduisent sa vision de l'avenir. Ses dénonciations du fascisme se lisent invariablement comme les lamentations désespérées de quelqu’un qui est convaincu de son inexorable victoire.

La deuxième caractéristique, et la source du pessimisme malsain de Hedges, est son rejet et son opposition à la théorie et à la politique marxistes qui définissent la classe ouvrière comme la force révolutionnaire fondamentale de la société et lui attribuent le rôle dirigeant et décisif dans la lutte contre le capitalisme. Comme il ne croit pas qu'il existe une force sociale capable de renverser le capitalisme, Hedges se retrouve dans une perspective de désespoir. Ceci, à son tour, a conduit Hedges à conclure que la lutte contre la guerre nécessitait une alliance avec les fascistes. Mais pour sceller cette alliance, Hedges est obligé de renoncer à son opposition passée au fascisme et de lui servir d'apologiste.

Le cours politique suivi actuellement par Hedges décevra profondément ses nombreux lecteurs qui respectaient ses dénonciations passées des crimes de l'impérialisme américain. Il ferait bien de réexaminer de manière critique sa présente trajectoire politique.

(Article paru d’abord en anglais le 12 mars 2023)

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