L'accord conclu entre l'Iran et l'Arabie saoudite sous l'égide de la Chine alarme Washington

Vendredi dernier, à Pékin, l’Arabie saoudite et l’Iran ont annoncé un accord visant à apaiser les tensions et à rétablir des relations diplomatiques, ce qui constitue une sorte de coup diplomatique pour la Chine. Les deux puissances rivales sont engagées dans une compétition féroce pour l’influence au Moyen-Orient, qui a été un facteur important dans les conflits de la région et dans l’aggravation de l’instabilité.

Le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran Ali Shamkhani, à droite, serre la main du plus haut diplomate chinois, Wang Yi, sous le regard du conseiller à la Sécurité nationale de l’Arabie saoudite, Musaad bin Mohammed al-Aiban, lors de la signature de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite. [AP Photo/Nournews]

Les relations diplomatiques officielles avaient cessé après que le régime saoudien, basé sur une forme extrême de fondamentalisme sunnite, eut exécuté l’éminent religieux chiite et critique du gouvernement Nimr Baqir al-Nimr, en 2016. Sa décapitation avait suscité des manifestations en Iran qui ont conduit à la prise d’assaut de la mission diplomatique saoudienne. Depuis, les relations n’avaient fait que se détériorer, les deux pays soutenant des camps opposés dans les guerres au Yémen et en Syrie.

En vertu de l’accord de vendredi dernier, l’Arabie saoudite et l’Iran auront deux mois pour négocier le rétablissement des relations diplomatiques et la réouverture des ambassades, et pour mettre en œuvre des accords de coopération en matière de sécurité. Peu de détails ont été rendus publics, mais l’accord inclurait la réduction de la guerre de propagande mutuelle et des attaques directes et indirectes contre les intérêts de l’autre partie dans la région.

Selon le Wall Street Journal, l’Arabie saoudite a accepté de contrôler Iran International, une chaîne d’information par satellite en langue farsi, qu’elle finance. Téhéran accuse ce média de fomenter les manifestations anti-gouvernementales qui ont eu lieu depuis des mois en Iran. Le chef de l’agence de renseignement iranienne a qualifié la chaîne d’organisation terroriste.

L’Iran a accepté de limiter les attaques transfrontalières contre l’Arabie saoudite menées par les rebelles houthis au Yémen, qui contrôlent de vastes régions du pays et mènent depuis 2015 une guerre contre une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite. Une trêve négociée l’année dernière est toujours en vigueur, les Houthis et les Saoudiens ayant tenu des pourparlers pour mettre fin au conflit.

Alors que des efforts pour apaiser les tensions sont en cours depuis plusieurs années, l’Irak et Oman jouant le rôle de médiateurs, c’est la Chine qui a joué le rôle principal dans la conclusion de l’accord. Vendredi dernier, Wang Yi, haut diplomate de Pékin, a salué l’accord comme une «victoire», ajoutant que la Chine continuerait à s’occuper des questions mondiales. Il a déclaré que cet accord «constituait un exemple de résolution des conflits et des divergences entre les pays par le dialogue et la consultation».

Dans une critique à peine voilée des États-Unis, Wang a déclaré que l’accord démontrait comment les deux nations «se débarrassaient des ingérences extérieures et prenaient véritablement en main l’avenir et le destin du Moyen-Orient». L’intervention diplomatique chinoise au Moyen-Orient intervient alors que les États-Unis intensifient leur guerre contre la Russie en Ukraine et accélèrent les préparatifs d’un conflit avec Pékin en Asie.

Le gouvernement Biden a réagi en sourdine à l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a apporté un soutien nuancé en déclarant: «Dans la mesure où cela pourrait désamorcer les tensions, tout ça est positif». Il a ensuite ajouté que les États-Unis ne renonçaient pas à leur rôle au Moyen-Orient.

Des commentaires dans les médias américains font toutefois état de vives inquiétudes à Washington. On y craint que Pékin n’ait pris de vitesse les États-Unis et ne joue un rôle plus important dans cette région stratégique riche en pétrole.

Un article du Hill [le journal du Congrès] intitulé «L'accord Iran-Arabie saoudite conclu sous égide chinoise suscite des craintes des États-Unis », cite ces commentaires de l’analyste du Conseil de l’Atlantique Jonathan Panikoff: «Cela devrait être un avertissement pour les décideurs politiques américains: Quittez le Moyen-Orient et abandonnez vos liens avec des alliés parfois frustrants, voire barbares, mais de longue date, et vous laisserez juste un vide que la Chine comblera».

Alors que les États-Unis et leurs alliés maintiennent des sanctions économiques paralysantes contre l’Iran sous prétexte de l’empêcher de construire des armes nucléaires, Washington s’est appuyé sur ses liens de longue date avec la monarchie saoudienne pour intervenir au Moyen-Orient.

Les relations américano-saoudiennes se sont toutefois détériorées depuis le voyage de Biden à Riyad en juillet dernier. Trois mois plus tard, l’OPEP réduisait sa production de pétrole de 2  millions de barils par jour dans le cadre d’un accord que l’Arabie saoudite et la Russie auraient conclu pour maintenir le prix du pétrole élevé. L’Arabie saoudite a encore exaspéré Washington en ne condamnant pas l’invasion russe de l’Ukraine.

Pour sa part, le gouvernement Biden a irrité l’Arabie saoudite en mettant fin au soutien militaire américain à sa guerre au Yémen, en limitant ses ventes d’armes et en ne répondant pas aux appels à l’aide de l’Arabie saoudite pour la mise en place d’un programme nucléaire civil.

La Chine a saisi l’occasion pour renforcer ses relations avec l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. Le Wall Street Journal a rapporté que le président chinois Xi Jinping avait rencontré des dirigeants arabes à Riyad en décembre dernier, où il a suggéré une réunion de haut niveau à Pékin du Conseil de coopération du Golfe (CCG) avec l’Iran cette année – un plan adopté par toutes les parties.

Il est clair que la position de la Chine en tant que principal acheteur d’énergie et partenaire commercial dans toute la région a joué un rôle important dans l’élaboration d’un accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, en prélude à la réunion plus large qui se tiendra à Pékin plus tard dans l’année.

L’Iran en particulier est confronté à une crise économique et financière majeure dû au régime de sanctions imposé par les États-Unis. Sa monnaie chute vertigineusement face au au dollar et l’inflation atteignait dans les zones urbaines plus de 50  pour cent en janvier. Malgré les sanctions, la Chine reste le premier acheteur de pétrole iranien et son principal partenaire commercial. L’an dernier, les échanges bilatéraux atteignaient 15,8  milliards de dollars, soit une hausse de 7  pour cent par rapport à l’année précédente.

Lors d’une visite d’État du président iranien Ebrahim Raisi à Pékin, à la mi-février, l’Iran a envoyé son principal négociateur nucléaire, Ali Bagheri Kani, pour jeter les bases d’un accord avec l’Arabie saoudite. Alors que Raisi rencontrait Xi, Bagheri Kani faisait part en coulisses des exigences de l’Iran aux responsables chinois. Il aurait demandé à la Chine d’intervenir dans les négociations internationales pour relancer l’accord nucléaire de 2015 stoppé brusquement par Trump en vue de mettre fin aux sanctions. Il a également appelé la Chine à investir et à soutenir la monnaie iranienne. En contrepartie, l’Iran a accepté de ne pas poser de conditions préalables aux pourparlers avec l’Arabie saoudite.

Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran, présent à Pékin la semaine dernière pour des négociations visant à finaliser un accord, a déclaré aux médias iraniens que la visite d’État avait ouvert la voie à des «négociations très sérieuses entre les délégations iranienne et saoudienne… Résoudre les malentendus et envisager l’avenir peut aider à développer la stabilité et la sécurité régionales». Après l’annonce de l’accord vendredi dernier, la monnaie iranienne a grimpé de plus de 10  pour cent par rapport au dollar.

Dans un contexte mondial instable, alimenté par une crise économique internationale de plus en plus grave, la guerre des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine et un conflit imminent avec la Chine, l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite ressemble davantage à une trêve temporaire qu’à un accord durable. Comme toutes les autres régions du monde, le Moyen-Orient – cible des guerres impérialistes américaines – est entraîné dans l’intensification de la confrontation des États-Unis avec la Russie et la Chine. La rivalité irano-saoudienne, qui se manifeste dans tout le Moyen-Orient à travers le prisme de la propagande d’intégrismes islamiques concurrents, peut rapidement reprendre le chemin du conflit.

Quelle que soit sa réaction immédiate à l’accord de vendredi dernier, Washington n’a pas l’intention de permettre à Pékin d’étendre son influence au Moyen-Orient ou ailleurs dans le monde, et n’hésitera pas à recourir à tous les coups bas pour l’en empêcher.

(Article paru d’abord en anglais le 14 March 2023)

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