Accord entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie sur les sous-marins nucléaires pour préparer la guerre avec la Chine

Le président américain Joe Biden et les Premiers ministres britannique et australien Rishi Sunak et Anthony Albanese se sont réunis hier à San Diego pour annoncer la prochaine étape de leur pacte militariste AUKUS. L’Australie achètera aux États-Unis des sous-marins nucléaires de classe Virginia, avant de construire une flotte de sous-marins Astute de conception britannique, adaptée à la technologie militaire américaine.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak, à droite, rencontre le président américain Joe Biden et le Premier ministre australien Anthony Albanese à la base navale de Point Loma à San Diego, aux États-Unis, le 13  mars 2023. [AP Photo/Stefan Rousseau]

L’annonce fut presque entièrement formulée sous forme de banalité. L’accord sur les sous-marins concernait l’«amitié» entre les trois pays, ont affirmé les trois leaders. Biden a déclaré que l’accord «montrait comment les démocraties peuvent assurer […] la sécurité et la prospérité, non seulement pour nous, mais aussi pour le monde entier».

Ces commentaires donnaient l’impression que les pays s’unissaient pour construire des infrastructures civiles bénignes et même bénéfiques. Mais Biden, Sunak et Albanese ne discutaient pas d’un programme de construction d’écoles ou d’hôpitaux publics, ils parlaient de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire, qui comptent parmi les systèmes d’armes offensives les plus avancés et les plus puissants au monde.

Contrairement aux sous-marins à propulsion classique, ils peuvent parcourir de grandes distances sans être ravitaillés en carburant, ils sont plus rapides, plus silencieux et plus aptes à échapper aux forces ennemies.

Les sous-marins doivent traquer et menacer l’ensemble de la région Inde-pacifique. Dans les jours qui ont précédé l’annonce, les détails en ont été divulgués. La presse australienne s’est réjouie à l’avance que le pays ne soit plus une «puissance moyenne». Comme l’a écrit la semaine dernière un commentateur militariste du Sydney Morning Herald, seuls les pays qui cherchaient à «projeter leur puissance» bien «au-delà de leurs côtes» faisaient une telle acquisition.

Le même commentateur note: «Les sous-marins à propulsion nucléaire permettront à la marine australienne d’atteindre la mer de Chine méridionale et la mer de Chine orientale. Et pourquoi voudrions-nous le faire ? Albanese ne le dira pas explicitement, mais la raison fondamentale est le rôle important qu’ils pourraient jouer dans une guerre potentielle avec le plus grand partenaire commercial de l’Australie – la Chine».

Albanese ne l’a peut-être pas dit, mais Sunak l’a effectivement indiqué. Quelques heures avant sa rencontre avec le Premier ministre australien, Sunak a déclaré que la Chine avait «des valeurs fondamentalement différentes des nôtres» et qu’elle était «de plus en plus autoritaire à l’intérieur du pays et de plus en plus confiante à l’extérieur».

Sunak a ajouté que la Chine était «intéressée par une refonte de l’ordre mondial, et [c’était] là le cœur du problème». En réponse, la Grande-Bretagne et ses alliés étaient «prêts à défendre leur position» alors que «la concurrence entre les États s’intensifie». Le conflit qui s’ensuivrait, couvrant «nos défenses nationales, de la sécurité économique aux chaînes d’approvisionnement en technologie en passant par l’expertise en matière de renseignement», serait «déterminant pour l’époque».

En clair, Sunak décrivait les plans d’une guerre mondiale visant à défendre l’«ordre mondial» existant, c’est-à-dire la domination mondiale de l’impérialisme américain et de ses alliés. Dans le contexte du long déclin du capitalisme américain, l’ascension économique de la Chine et son rôle de plus en plus central dans des secteurs clés comme les technologies du futur sont vus par les stratèges de Washington comme une menace inacceptable.

La guerre par procuration menée contre la Russie en Ukraine, alimentée, préparée et intensifiée durant des décennies par les actes agressifs de l’impérialisme américain, est considérée par ses stratèges comme un prélude essentiel au conflit avec la Chine. L’objectif est d’infliger une défaite militaire majeure à la Russie, afin de préparer le terrain à une guerre encore plus importante avec la Chine, qui viserait à garantir la domination d’une masse continentale eurasienne stratégiquement cruciale et de ses vastes ressources naturelles et humaines.

En Europe, cela implique l’expansion rapide de l’OTAN et d’autres alliances dirigées par les États-Unis. Dans l’Inde-pacifique, AUKUS est la pièce maîtresse d’un réseau de pactes militaires offensifs négociés par Washington et ses alliés, dont l’Australie. Dévoilé en septembre 2021, sans discussion publique préalable, même aux parlements australien et britannique ou au Congrès américain, son objectif explicite est de militariser l’Inde-pacifique en vue d’une guerre.

Cette perspective s’est manifestée dans le lieu choisi pour l’annoncer. San Diego fut choisi parce qu’il abrite les plus grandes bases militaires et navales de la côte ouest des États-Unis. La base navale de 32nd Street ou base navale de San Diego est le port d’attache de la flotte américaine du Pacifique. La base militaire de Camp Pendleton accueille la première division de Marines.

Dans le cadre de cet accord, l’Australie acquerra entre trois et cinq sous-marins américains de classe Virginia. Ils arriveront dans le pays au début des années  2030. Ensuite, plus tard dans la même décennie, commencera la construction au Royaume-Uni et en Australie d’une version modernisée des sous-marins nucléaires britanniques de la classe Astute. Ils seront basés sur la technologie militaire américaine.

Les nouveaux sous-marins Astute ont été présentés comme l’occasion d’une intégration sans précédent des développements militaires américains, britanniques et australiens. Aux côtés de Biden, Albanese a déclaré: «C’est la première fois en 65  ans, et seulement la deuxième fois dans l’histoire, que les États-Unis partagent leur technologie de propulsion nucléaire, et nous vous en remercions».

Il y a une contradiction évidente entre cette annonce et la réaction enthousiaste de la presse militariste, aux États-Unis et en Australie. De hauts responsables militaires ont déclaré qu’une guerre avec la Chine se déroulerait non pas dans des décennies, mais dans quelques années. Au début de l’année  2023, le général Michael Minihan, de l’US Air Force, prévoyait que l’Amérique serait en guerre avec la Chine d’ici 2025.

En Australie, certains ont mis en garde contre un «déficit de capacités» dû à la vétusté de sa flotte actuelle de sous-marins Collins à moteur diesel. Mais le gouvernement travailliste semble être revenu sur des suggestions antérieures qu’il effectuerait une mise à jour de sa flotte de Collins en attendant les sous-marins nucléaires.

Aucune de ces questions, à savoir l’imminence d’une guerre ou le «déficit de capacités» de l’Australie, ne semble donc résolue par cette annonce.

La solution réelle, suggérée, mais non explicitée, est que l’Australie deviendra très rapidement la base des sous-marins nucléaires américains, achevant ainsi la transformation du pays en un gigantesque porte-avions pour l’armée américaine. Dans le même temps, l’Australie a été invitée à subventionner l’industrie de fabrication militaire américaine, de plus en plus en proie à la crise.

Selon l’annonce officielle, jusqu’à quatre sous-marins nucléaires américains et un navire britannique commenceront à être déployés par rotation en Australie en 2027. Mais le journal The Australian, propriété de Murdoch, indique, lui, un calendrier réel beaucoup plus court.

«Le plan en plusieurs étapes commence cette année, avec d’autres visites de sous-marins nucléaires américains en Australie», peut-on y lire. Ces visites auraient pour but de «former» les futurs membres d’équipage des sous-marins australiens. Mais cela permet également à la flotte américaine de sous-marins de disposer d’une base australienne efficace, ce que des gouvernements américains successifs avaient cherché à obtenir.

Cette base ne constituera qu’un aspect d’un déploiement beaucoup plus large de moyens militaires américains en Australie. À la fin de l’année dernière, on a révélé que le gouvernement Albanese avait secrètement autorisé le stationnement de bombardiers américains à capacité nucléaire  B-52 dans le nord de l’Australie.

En décembre dernier, lors des consultations ministérielles entre l’Australie et les États-Unis, le gouvernement travailliste a accepté d’étendre la «présence rotative des capacités américaines en Australie, dans les domaines aérien, terrestre et maritime». Cela inclurait des rotations de la Task Force de bombardement américaine, des chasseurs et des rotations futures de capacités de l’US Navy et de l’US Army». C’est-à-dire dans tous les domaines militaires possibles et imaginables.

Dans les groupes de réflexion alignés sur les États-Unis, on discute ouvertement de ce que ce redéploiement des ressources américaines, y compris de la force de frappe, est motivé par l’imminence d’une guerre. Le matériel et le personnel sont transférés en Australie, car ce pays est plus éloigné du continent chinois que les bases américaines telles que Guam, qui pourraient être anéanties par des missiles de moyenne ou courte portée.

Plus généralement, la militarisation de l’Australie est au cœur de la stratégie «Air Sea Battle» élaborée par le Pentagone. Dans une guerre avec la Chine, l’Australie jouerait le rôle d’une «ancre méridionale». Elle servirait de rampe de lancement pour des opérations offensives dans toute la région, y compris contre la Chine continentale. Elle imposerait en outre un blocus naval des principales routes maritimes dont la Chine dépend pour l’essentiel de ses échanges commerciaux.

Les implications de cette stratégie ont été mises en évidence la semaine dernière par une série d’«alertes rouges» publiée dans le Sydney Morning Herald et l’Age, deux des plus grands journaux australiens. S’appuyant sur les déclarations de bellicistes financés par les États-Unis et l’Australie, on y déclarait que l’Australie devait se préparer à mener une guerre contre la Chine dans les trois ans. Il était nécessaire de déployer des armes nucléaires dans le nord de l’Australie, d’imposer une conscription militaire massive et de mettre l’ensemble du pays sur un pied de guerre.

L’annonce de San Diego représente un nouveau pas en avant dans ce programme. En plus d’accroître le risque de guerre, elle servira d’impulsion aux attaques contre les droits démocratiques, au ciblage de l’opposition anti-guerre et à l’intensification de l’austérité.

Le coût total de l’acquisition des sous-marins pour l’Australie devrait s’élever à 268  milliards de dollars. Ce montant s’ajoute aux dépenses militaires déjà annoncées pour cette décennie, qui dépassent les 500  milliards de dollars. Ce financement comprend trois à quatre milliards de dollars de subventions directes du gouvernement australien aux fabricants militaires américains.

Albanese et d’autres ministres du gouvernement ont déjà déclaré qu’il y aurait une «conversation difficile» avec le public sur les réductions de dépenses nécessaires pour financer le réarmement militaire.

À sa manière, cela met en évidence la relation entre les luttes croissantes des travailleurs contre les baisses de salaire et l’attaque des conditions de travail, et la nécessité d’une lutte contre la guerre. C’est la classe ouvrière qui paiera pour la guerre, non seulement par le vaste détournement des ressources sociales vers l’appareil militaire, mais encore par la catastrophe mondiale que serait un conflit entre les États-Unis et la Chine, deux puissances nucléaires.

C’est pour lutter contre un tel désastre que l’Internationale des Jeunes et des Étudiants pour l’égalité sociale organise dans le monde une série de réunions contre la guerre. Ces événements exposent la perspective socialiste et internationaliste nécessaire pour vaincre les bellicistes, empêcher une catastrophe et mettre fin à la source de la guerre, le système capitaliste même.

Autorisé par Cheryl Crisp pour le Socialist Equality Party, Suite 906, 185 Elizabeth Street, Sydney, NSW, 2000.

(Article paru d’abord en anglais le 14 mars 2023)

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