La crise se poursuit à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR), le principal centre hospitalier à desservir les quartiers en majorité ouvriers de l’est de Montréal, où des infirmières du quart de soir des urgences ont refusé de rentrer au travail le lundi 16 janvier. Elles manifestaient contre leurs conditions de travail inhumaines, le manque chronique de personnel et le temps supplémentaire obligatoire (TSO) qui ruine leurs vies personnelles.
Le vendredi précédent, environ 90% des 110 travailleuses de l’équipe avaient signé une pétition réclamant le départ de leur cheffe d’unité. Elles accusaient celle-ci d’avoir causé la «dégradation fulgurante» de leurs conditions de travail, de «n’avoir rien mis en place» pour retenir le personnel, et de recourir à l’intimidation pour imposer le TSO. Par exemple, lors de la première fin de semaine du mois de janvier, plus de 400 heures supplémentaires obligatoires avaient été effectuées. Les infirmières ont menacé de démissionner en bloc le mercredi suivant si leur demande n’était pas satisfaite.
Lundi, la direction du CIUSSS (centre de santé) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a ajouté de l’huile sur le feu en proposant un plan de contingence qui aurait simplement augmenté la charge des infirmières en poste. Les infirmières ont rejeté le plan, craignant pour la sécurité des patients. C’est alors qu’elles ont déclenché leur refus de travail (sit-in), forçant le CIUSSS à fermer l’urgence partiellement jusqu’à mardi matin, et à rediriger des ambulances vers d’autres établissements.
Les actions militantes des infirmières ont forcé le ministre provincial de la Santé, le comptable millionnaire Christian Dubé, à intervenir. La cheffe d'unité a été affectée à d'autres tâches et Dubé a nommé un conseiller externe pour aider à implanter un plan de «microgestion» dans le but de pallier le manque de main-d’œuvre. Cette manœuvre cynique, que le premier ministre du Québec François Legault a appuyée, ne répond en rien aux demandes des travailleuses. Le but est de maintenir le régime de temps supplémentaire mais de permettre aux infirmières de choisir quand elles «veulent» faire le faire!
Legault, un ex-PDG multimillionnaire et fervent partisan de la privatisation des services publics, a initialement présenté le conflit comme un problème isolé résultant de la mauvaise gestion. Il a ensuite tenté d’excuser son gouvernement en déclarant qu’il «manque d’infirmières partout dans le monde» et que le besoin serait simplement plus criant à HMR qu’ailleurs au Québec.
En réalité, HMR est le canari dans la mine pour un système de santé au bord de l’effondrement après des décennies de coupures par les gouvernements précédents des libéraux et du PQ (Parti québécois) et maintenant la CAQ (Coalition Avenir Québec) de Legault. De 1996 à 1998 en particulier, le PQ sous Lucien Bouchard, a éliminé des milliers de postes d’infirmières avec le plein soutien des syndicats – y compris celui des infirmières (FIQ) – en les envoyant prématurément à la retraite au nom du «déficit zéro».
L’état déplorable du système de santé a été rendu catastrophique par la réponse criminelle de la classe dirigeante à la pandémie de COVID-19, une réponse basée sur la politique des «profits avant les vies». En plus de ne rien faire pour freiner la propagation des nombreux virus respiratoires qui continue de submerger les hôpitaux et les urgences, Legault et sa CAQ poursuivent leur politique du «vivre avec le virus», entraînant plus de mort, de malades, et exacerbant la pénurie de main-d’œuvre en santé comme ailleurs.
Conséquemment, les urgences débordent depuis des mois partout au Québec et la population peine à obtenir des soins. Le taux d’occupation moyen des urgences de la province est d’environ 130%, un sommet jamais atteint depuis janvier 2020. À l’hôpital du Suroît, à Salaberry-de-Valleyfield, le taux d’occupation des urgences a atteint 270% la semaine dernière.
En réponse à la détérioration des conditions de travail et à l’omniprésence du TSO détesté, les refus de travail comme celui organisé par les infirmières de HMR lundi dernier se multiplient depuis des années, et surtout depuis la pandémie. Mardi dernier, alors que la crise à HMR retenait l’attention, les infirmières de l’urgence de l’hôpital de Jonquière au Saguenay ont elles aussi organisé un sit-in pour dénoncer leurs conditions de travail alors que l’urgence était occupée à 144%.
Le gouvernement Legault a fermé les yeux sur la crise qui couvait à HMR. En décembre dernier, le ministre Dubé a rejeté un «projet pilote» conjoint du syndicat et du CIUSSS qui visait à diminuer le TSO en offrant des primes pour attirer et retenir le personnel. À la grandeur du réseau, la CAQ a adopté une politique délibérée de maintien du TSO, inscrivant le droit des gestionnaires de l’utiliser dans les dernières conventions collectives et repoussant à 2025 toute mesure visant à le diminuer.
Les syndicats, conformément au rôle qu’ils jouent depuis des décennies pour torpiller les luttes de leurs membres pour de meilleures conditions de travail, vont tout faire pour étouffer la colère des infirmières et éviter une confrontation directe avec le gouvernement Legault.
Le président du syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, Denis Cloutier, a admis que les récentes actions des infirmières ont été lancées de manière indépendante par les membres de la base, et non par le syndicat. Admettant sa crainte de ne pouvoir contenir l’opposition des membres, Cloutier a dit que l’intervention d’un conciliateur «règle le problème de la menace de démission en bloc. [...] Mais je crains fortement qu’il n’y ait d’autres sit-in à l’avenir».
Contrastant avec l’appui timide venu des bureaucrates syndicaux, les travailleuses de la base ont répondu avec enthousiasme aux actions des infirmières de HMR. Dans une lettre dont La Presse a obtenu copie, les infirmières de l’hôpital Cité-de-la-Santé, à Laval, ont écrit en soutien à leurs collègues de HMR: «[Nous] tenons à vous témoigner notre respect et notre support dans l’épreuve que vous traversez depuis déjà plusieurs mois. Il est primordial que nous fassions front commun face à l’adversité et c’est pourquoi nous sommes de tout cœur avec vous.»
Cette expression de solidarité de classe pointe vers la capacité des travailleurs à repousser l’attaque concertée du gouvernement de droite de la CAQ sur les conditions de travail et les services publics. Mais pour y faire face, les infirmières doivent faire front commun avec le demi-million de travailleurs du secteur public dont les conventions collectives, comme pour les infirmières, arrivent à échéance fin mars. Les infirmières doivent également se tourner vers l’ensemble de la classe ouvrière, non seulement dans la province mais à travers le Canada, afin de préparer une contre-offensive à l’austérité capitaliste.
La colère des infirmières au Québec fait partie d’une rébellion croissante parmi les travailleurs de la santé et la classe ouvrière à l’échelle internationale. En Angleterre et aux États-Unis, des milliers d’infirmières ont fait la grève pour protester contre des augmentations salariales en dessous de l’inflation, des conditions de travail intolérables et la pénurie de personnel. En France, deux millions de personnes ont manifesté dans les rues ou fait la grève la semaine dernière en opposition au «président des riches» Emmanuel Macron qui veut augmenter l’âge minimum de la retraite.
Les infirmières et les travailleurs du secteur public doivent enlever le contrôle de leur lutte des mains de l’appareil syndical, qui s’est intégré à l’État capitaliste et qui étouffe systématiquement la résistance des membres de la base au nom de la «paix sociale».
Cela requiert une lutte politique indépendante des travailleurs. Un premier pas crucial sur cette voie consiste à former de nouvelles organisations de lutte, des comités de la base complètement indépendants des syndicats pro-capitalistes. Leur tâche sera de mobiliser toute la force sociale de la classe ouvrière afin d’assurer à tous des conditions de travail décentes et des services publics de qualité.
Voir aussi:
La FIQ se plaint auprès d’un tribunal administratif d’avoir perdu la confiance de ses membres
Les infirmières doivent bâtir de nouvelles organisations de lutte, pas un nouveau syndicat