Le gouvernement libéral du Canada a annoncé mardi qu’Ottawa allait acheter un système national avancé de missiles sol-air (NASAMS) pour l’Ukraine. Cette annonce fait suite à une rencontre bilatérale entre le premier ministre canadien Justin Trudeau et le président américain Joe Biden en marge du sommet des «trois Amigos» à Mexico, qui a réuni Biden, Trudeau et le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador.
L’achat par Ottawa du système de défense antimissile constitue une nouvelle escalade dans la guerre que l’OTAN mène contre la Russie. Dans le sillage de la promesse de l’administration Biden d’envoyer des missiles Patriot en Ukraine et des annonces rapides de la France, de l’Allemagne et des États-Unis de fournir des chars à Kiev, la fourniture par Ottawa d’une batterie NASAMS souligne que les principales puissances de l’OTAN, dont le Canada, sont parties prenantes de la guerre en Ukraine et accroît la probabilité d’un affrontement direct entre la Russie et les puissances impérialistes.
Selon Raytheon, co-concepteur du système, les batteries NASAMS constituent «un système de défense de pointe adaptable qui peut maximiser sa capacité à identifier, engager et détruire les avions ennemis actuels et futurs, les véhicules aériens sans pilote et les menaces émergentes de missiles de croisière». Les États-Unis ont déjà fourni deux batteries NASAMS à l’Ukraine, et six autres sont en préparation. Chaque batterie NASAMS vaut environ 200 millions USD, sur la base d’un contrat passé par le Pentagone avec Raytheon fin novembre pour six NASAMS d’une valeur de 1,2 milliard USD.
La rencontre bilatérale de mardi matin entre Biden et Trudeau a mis en évidence le caractère agressif de l’alliance impérialiste canado-américaine. S’étendant sur plus de huit décennies, le partenariat militaro-stratégique de Washington et d’Ottawa est en train d’être modernisé et élargi pour mener les guerres du 21e siècle, notamment en garantissant à la machine de guerre américaine l’accès aux minéraux critiques canadiens et en approfondissant la coopération militaire entre les deux pays de l’Arctique à la mer de Chine méridionale.
À la veille du sommet des dirigeants nord-américains, le Canada a confirmé l’achat de 88 avions de combat F-35 au producteur américain Lockheed Martin, pour un coût de 19 milliards de dollars canadiens (14,2 milliards de dollars américains). L’avion supersonique de cinquième génération, qui a acquis une certaine notoriété ces dernières années en raison de plusieurs graves défauts de conception, coûte 36.000 dollars américains pour chaque heure de vol et plus de 7 millions de dollars américains pour l’entretien annuel de chaque avion.
Cet achat est l’une des mesures phares du plus grand programme de réarmement d’Ottawa depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce programme prévoit une augmentation de plus de 70 % des dépenses de défense entre 2017 et 2026, l’achat de nouvelles flottes de navires et d’avions de guerre, ainsi que la modernisation du commandement bilatéral de la défense nord-américaine (NORAD) afin de se préparer à mener une guerre avec des missiles hypersoniques et des armes nucléaires. Le compte rendu de la rencontre Trudeau-Biden publié par la Maison-Blanche fait une mention spéciale de la modernisation du NORAD, soulignant que l’alliance bilatérale est essentielle pour «assurer la défense et la sécurité continues de l’Amérique du Nord».
Depuis que la guerre en Ukraine a éclaté en février dernier, le Canada a engagé 3,4 milliards de dollars d’aide au régime de droite de Kiev, dont plus de 1,1 milliard de dollars d’aide militaire. Le Canada était également au premier rang des puissances impérialistes qui ont poussé le président russe Vladimir Poutine à lancer son invasion réactionnaire de l’Ukraine en février 2022. Aux côtés des armées américaine et britannique, le personnel des forces armées canadiennes a joué un rôle déterminant dans la réorganisation et la formation de l’armée ukrainienne pour la guerre entre 2014 et 2022. Ils ont notamment aidé à intégrer le bataillon Azov d’extrême droite et d’autres forces fascistes dans la Garde nationale militaire et paramilitaire ukrainienne.
Reconnaissant l’importance de la participation du Canada, la Maison-Blanche a indiqué que Biden avait remercié Trudeau d’avoir «fourni une aide sécuritaire, économique et humanitaire à l’Ukraine.»
Les deux hommes ont également discuté de la poursuite de l’intégration du Canada dans l’offensive stratégique de Washington contre la Chine, que l’impérialisme américain considère actuellement comme la plus grande menace à son hégémonie mondiale. Selon le bureau du premier ministre, la rencontre a notamment porté sur «la Chine et une approche coordonnée de l’Indo-Pacifique».
Ces derniers mois, Ottawa a considérablement renforcé son soutien à la campagne diplomatique, économique et militaire tous azimuts de Washington visant à isoler la Chine et à préparer un conflit militaire contre elle. Fin novembre, le gouvernement Trudeau a publié sa stratégie indo-pacifique, longtemps retardée, dont il a souligné qu’elle avait été élaborée en étroite consultation avec Washington. Le document qualifie la Chine de «puissance mondiale de plus en plus perturbatrice» et s’engage de manière provocatrice à intensifier «l’engagement multiforme» du Canada avec Taïwan. En fait, le Canada a déclaré son soutien à l’abandon de facto par Washington de sa politique d’«une seule Chine», en vigueur depuis des décennies, qui reconnaissait la revendication historique de la Chine à la souveraineté de l’île.
Aucun coin du globe n’est épargné par les ingérences impérialistes américaines et canadiennes. Mardi, Biden a insisté auprès de Trudeau pour que le Canada mène une intervention militaire et policière afin de soutenir le régime fantoche pro-impérialiste d’Haïti. Pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, Haïti a connu une crise sociale catastrophique au cours des dernières années, alors que des gangs armés ayant des liens étroits avec les forces de sécurité et les élites traditionnelles du pays ont terrorisé de grandes parties du pays. Le manque de nourriture, l’épidémie de choléra et le quasi-effondrement de l’économie ont laissé la grande majorité des 11 millions d’habitants du pays dans le dénuement.
Un élément essentiel des ambitions géopolitiques prédatrices des puissances impérialistes jumelles de l’Amérique du Nord est la consolidation de leur contrôle sur les matières premières clés vitales pour le développement économique futur, notamment les technologies «vertes» et informatiques, ainsi que la production d’armes et de systèmes d’armes avancés. En 2019, l’administration Trump et le gouvernement Trudeau ont lancé le Plan d’action Canada-États-Unis sur les minéraux critiques, un accord visant à coordonner l’accès à 17 terres rares et minéraux jugés essentiels pour la domination militaire et économique dans les décennies à venir. En mars 2021, lors de leur première rencontre officielle, Biden et Trudeau ont convenu d’une feuille de route pour un partenariat renouvelé entre les États-Unis et le Canada, qui comprenait une section détaillée sur le renforcement du plan d’action et des chaînes d’approvisionnement nord-américaines.
La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, a abondamment parlé de ce thème l’automne dernier. Lors d’un discours-programme prononcé en octobre à la Brookings Institution de Washington, elle a préconisé une politique de «friend-shoring», c’est-à-dire un plan économique nationaliste et protectionniste visant à affronter les principaux rivaux mondiaux de Washington et d’Ottawa, surtout la Chine. Le Canada se concentrerait sur «l’accélération, par exemple, des projets énergétiques dont nos alliés ont besoin pour chauffer leurs maisons et fabriquer des véhicules électriques».
Ces politiques, habillées de faux engagements à défendre la «démocratie», à soutenir l’énergie «verte» et à lutter contre le changement climatique, visent carrément la Russie, l’un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz naturel au monde, et la Chine, qui occupe une position forte sur le marché des matières premières nécessaires à la production de véhicules électriques. Pour souligner ce fait, le gouvernement Trudeau a pris des mesures, quelques semaines seulement après le discours de Freeland, pour renforcer la réglementation applicable aux investisseurs dans le secteur des minéraux essentiels du Canada. Ces changements empêchent les «entreprises d’État», un euphémisme pour désigner les entreprises chinoises, d’investir dans de nombreux projets énergétiques et miniers. La nouvelle règle permet au gouvernement de déclencher une disposition de la Loi sur Investissement Canadaqui lui donne le pouvoir de déclarer des investissements «préjudiciables à la sécurité nationale». À la suite de ce changement, Ottawa a obligé trois entreprises chinoises à céder leurs investissements dans des mines de lithium canadiennes.
Dans une déclaration commune, les chambres de commerce du Canada, du Mexique et des États-Unis ont exhorté le sommet des «Trois Amigos» à adopter un programme visant à faire de l’Amérique du Nord le leader mondial de la production de véhicules électriques, en s’appuyant sur l’avantage «concurrentiel» fourni par la main-d’œuvre bon marché du Mexique et les riches gisements de matières premières du Canada. Comme l’a dit Flavio Volpe, directeur de l’Association canadienne des fabricants de pièces d’automobile, «les États-Unis ont du capital, le Mexique a du capital humain et le Canada a du lithium, du cobalt, du graphite et du nickel.»
Les impérialismes canadien et américain sont déterminés à poursuivre leurs intérêts économiques tout aussi impitoyablement contre leurs alliés supposés que contre la Russie et la Chine. Le programme de l’«Amérique du Nord d’abord» de Washington et d’Ottawa pour la production de véhicules électriques et d’autres initiatives d’«énergie propre» a suscité des critiques de la part des puissances impérialistes européennes, qui craignent d’être mises à l’écart dans les industries économiques clés des prochaines décennies.
Lors du sommet des dirigeants nord-américains, Ottawa et Washington ont poursuivi leurs efforts soutenus pour contraindre Lopez Obrador à faire marche arrière sur son plan visant à renforcer la position des entreprises contrôlées par l’État dans le secteur énergétique du Mexique. Des milliards de dollars d’investissements et des bénéfices massifs sont en jeu pour les grandes entreprises américaines et canadiennes, ces dernières détenant 13 milliards de dollars canadiens d’investissements dans le secteur. En juillet dernier, les gouvernements Trudeau et Biden ont lancé une procédure de règlement des différends dans le cadre de l’accord États-Unis-Mexique-Canada (USMCA), qui a succédé à l’ALENA, afin de contraindre le Mexique à faire des concessions.
La bureaucratie syndicale, qui a systématiquement réprimé la lutte de classe à mesure que l’opposition ouvrière s’élevait contre les politiques d’austérité exigées par l’élite dirigeante pour payer les guerres à l’étranger, est pleinement intégrée au programme militariste et protectionniste de l’impérialisme canadien de l’«Amérique du Nord d’abord». Lorsque le gouvernement Trudeau a dévoilé en juin 2022 son Comité consultatif sur l’Indo-Pacifique, qui a aidé à la préparation du document stratégique du gouvernement, l’un de ses membres les plus éminents était Hassan Yussuff, l’ancien chef du Congrès du travail du Canada. Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a été étroitement impliqué dans les négociations de l’USMCA, au cours desquelles son président Jerry Dias, par la suite disgracié, a servi de conseiller semi-officiel du gouvernement.
L’implication de la bureaucratie syndicale démontre que l’élite capitaliste dirigeante reconnaît que la mobilisation massive de ressources pour mener une guerre à l’étranger ne sera possible que par la répression des luttes de la classe ouvrière dans le pays. Ils considèrent les syndicats, qui ont des décennies d’expérience dans cette tâche, comme leur meilleur mécanisme pour bloquer les grèves et les protestations pour des augmentations de salaire, une amélioration des conditions de travail et une augmentation des dépenses sociales.
(Article paru en anglais le 11 janvier 2023)