Barrick Gold et l'impérialisme canadien – un partenariat prédateur

Les récents développements liés à Barrick Gold, qui est, selon certains, la plus grande société minière aurifère du monde, illustrent à quel point les sociétés minières canadiennes dépendent de la brutalité impérialiste de l'État canadien pour mener à bien leurs activités et faire gonfler leurs profits.

En avril, le journal Globe & Mail a révélé que Barrick avait reçu l'ordre de produire pas moins de 120.000 documents pour se défendre devant un tribunal britannique de Londres. La compagnie est poursuivie par des plaignants tanzaniens pour les meurtres et les blessures de villageois locaux par la police et les forces de sécurité tanzaniennes – payées, nourries et logées par la compagnie – dans sa mine de North Mara. «Les plaignants», a rapporté RAID, une ONG qui lutte contre les malversations des entreprises, «comprennent la famille d'une fillette de neuf ans tuée par un véhicule de la mine conduit par la police, et quatre femmes sur lesquelles on a tiré alors qu'elles se rassemblaient autour de son corps. Les filiales de Barrick nient toute responsabilité.»

Au fil des ans, des dizaines de villageois ont été tués ou blessés, mais des documents ayant fait l'objet d'une fuite révèlent que l'État canadien a accepté les dénégations de Barrick pour argent comptant, soucieux uniquement de couvrir la violence, de peur qu'elle n'entrave la résolution des énormes problèmes fiscaux et d'exportation de Barrick.

Le mois suivant, le Globe a rapporté certains des détails sordides du litige fiscal et d'exportation de 190 milliards de dollars de Barrick avec les autorités tanzaniennes, exposant l'implication intime des fonctionnaires et diplomates canadiens dans les négociations de Barrick avec le gouvernement tanzanien. Le Globe, en tant que principal porte-parole de la classe dirigeante capitaliste canadienne, était déterminé à occulter le contexte politique et historique de son propre reportage.

La vérité est que les opérations rentables de Barrick en Tanzanie n'existent que grâce à des décennies de pressions incessantes exercées sur la Tanzanie par l'État canadien, qui a pleinement profité de la faillite politique et de la cupidité des gouvernements nationalistes bourgeois tanzaniens successifs.

L'Agence canadienne de développement international (ACDI) a menacé pour la première fois de suspendre l'aide alimentaire en 1985 si la Tanzanie refusait d'ouvrir son économie aux investissements miniers canadiens. La pression exercée par l'État canadien a joué un rôle majeur pour détourner la Tanzanie de sa politique d'Ujamaa ou de «socialisme africain» agraire. En réalité, l'Ujamaa n'avait absolument rien à voir avec le socialisme. Il s'agissait d'une politique de développement réactionnaire, nationaliste et rétrograde, menée de manière désastreuse par la Tanganyika African National Union (TANU), puis par son successeur politique, le Chama Chai Mapinduzi (Parti de la Révolution), après l'indépendance vis-à-vis du colonialisme britannique en 1961.

Les «réformes du marché» exigées et imposées par l'impérialisme, combinées au colonialisme et au développement capitaliste national post-colonial dirigé par l'État, ont par la suite limité la Tanzanie à un très faible niveau de développement économique. Le PIB annuel par habitant est de 2.200 dollars, et la moitié de la population vit avec moins de 1,90 dollar US par jour.

L'investissement minier est présenté par l'impérialisme canadien comme une «solution» au problème du développement africain. Mais les problèmes du développement africain sont entièrement dus au capitalisme et à l'impérialisme. Bien que les investisseurs des pays impérialistes se soient enrichis de façon obscène, l'ensemble du secteur minier de la Tanzanie ne représentait que 6 % de son maigre PIB de 62 milliards de dollars américains en 2020, investissements, taxes et salaires compris. À titre de comparaison, les 40 plus grandes sociétés minières du Canada ont généré des revenus de 124 milliards de dollars américains en 2020, ce qui équivaut à 7,5 % du PIB du Canada, la plupart de ces revenus provenant d'exploitations minières étrangères et entrant sur les marchés canadiens.

Le Canada est le plus grand investisseur étranger de la Tanzanie, axé sur l'extraction de milliards de dollars de richesses minérales par an dans le pays, pour lesquelles l'État tanzanien a historiquement reçu une somme dérisoire en redevances. Semblables à bien des égards aux dirigeants politiques des anciennes républiques soviétiques staliniennes, les responsables du parti CCM président aujourd'hui un État gangster corrompu, avec des factions qui se disputent le contrôle de divers systèmes de recherche de rente et de pots-de-vin liés au secteur minier et aux contrats gouvernementaux.

La pression canadienne n'a fait qu'intensifier cette corruption

En 1996, à la suite des «réformes d'ajustement structurel» du Fonds monétaire international (FMI) et après la menace du retrait de centaines de millions de dollars de prêts au développement, une société canadienne, Sutton Resources, a entrepris l'«exploration» de ce qui est aujourd'hui la mine d'or Bulyanhulu de Barrick. Cette «exploration» n'était toutefois pas vraiment nécessaire, car la région était déjà exploitée par plus de cent mille petits mineurs tanzaniens, qui avaient été encouragés par l'ancienne politique Ujamaa.

Melania Baesi, membre de l'association des mineurs artisanaux de la région de Shinyanga, qui a obtenu du président tanzanien la permission de faire travailler les mineurs artisanaux à Bulyanhulu en 1993. (Crédit image : Stephen Kerr, 2002)

Verona Edelstein, alors haut-commissaire du Canada en Tanzanie, a fait pression sur le gouvernement tanzanien par voie diplomatique, à la télévision tanzanienne et dans la presse pour qu'il expulse les mineurs artisanaux de la région afin de permettre la construction de la mine canadienne. Lors des violentes expulsions qui ont suivi, pas moins de 60 mineurs artisanaux ont été enterrés vivants lorsque les bulldozers ont rempli leurs puits [1]. Barrick a ensuite acheté Sutton Resources et Bulyanhulu en 1999.

Depuis lors, Barrick bénéficie du soutien constant de l'État canadien. Le premier ministre canadien Stephen Harper a notamment profité d'un voyage en Tanzanie en 2007 pour visiter les opérations de Barrick, alors que cette dernière utilisait des briseurs de grève pour briser une grève de plus de mille travailleurs de la mine de Bulyanhulu.

Plus récemment, les profits de l'industrie minière canadienne ont été favorisés par l'abandon par le gouvernement tanzanien de toute lutte contre la pandémie de COVID. Il est illégal de signaler tout cas ou test de COVID en Tanzanie. L'ancien président Magufuli a déclaré que la pandémie était vaincue en juin 2020, grâce à la «prière», mais il est lui-même mort du COVID au début de l'année 2021, ainsi que des dizaines de milliers de travailleurs tanzaniens non comptés.

En 2020, alors que la pandémie faisait rage, les importations canadiennes de minéraux et de produits miniers ont connu une croissance de 2,5 %, tandis que la valeur de toutes les autres importations, à l'exception de l'agriculture, a diminué de façon spectaculaire. La valeur des actifs miniers canadiens à l'étranger a augmenté de 3,5 % en 2020. Le bénéfice des mineurs d'or par once a atteint un niveau record de 828 dollars en 2020.

Selon un sous-secrétaire d'un ministère des mines d'Amérique latine, «l'ambassadeur canadien ici est un représentant des sociétés minières canadiennes.» [2]

L'impérialisme canadien et l'exploitation minière

Le Canada représente 0,48 % de la population mondiale mais abrite 80 % des sociétés minières du monde. La valeur totale des investissements miniers étrangers canadiens s'élevait à 273 milliards de dollars en 2020, selon Ressources naturelles Canada. L'Amérique latine est la principale cible des investissements miniers canadiens, suivie des États-Unis, puis de l'Afrique.

Actifs miniers canadiens mondiaux (Crédit d'image : Ressources nationales Canada, Gouvernement du Canada)

La valeur monétaire de ces investissements en capital est toutefois trompeuse. Les investissements extraient chaque année 50 % de leur valeur en revenus (143 milliards de dollars en 2021), dont une grande partie provient de pays structurellement appauvris disposant de vastes richesses minérales. Il a été estimé qu'entre 1990 et 2015, les pays impérialistes se sont approprié 242.000 milliards de dollars des anciens pays coloniaux et autres pays historiquement opprimés. [3]

Si les investissements miniers étrangers du Canada sont souvent plus rentables que de nombreux autres secteurs de l'économie, ils le sont en raison des structures de soutien financier aux sociétés minières créées par l'État impérialiste canadien, et de la pression que ce dernier exerce sur divers gouvernements bourgeois compradors pour qu'ils répriment leurs travailleurs.

Des règles laxistes pour l'établissement de sociétés minières par actions sur les bourses de Toronto et de Vancouver exigent que les sociétés cotées n'aient ni revenus ni profits. [4] Parmi les investisseurs miniers, un dicton dit qu'«une mine d'or est simplement un trou avec un menteur au sommet». 43 % des sociétés minières du monde sont cotées à la TSX (Bourse de Toronto).

Le portefeuille de prêts miniers d'Exportation et développement Canada, un crédit garanti par l'État, s'élevait à 6,5 milliards de dollars en 2021. Le Régime de pensions du Canada, qui investit les cotisations de l'État aux régimes de retraite des travailleurs, lesquelles sont déduites de chaque chèque de paie par la loi, détient des investissements importants dans Arnico Eagle, Barrick Gold, Fortis, ARC Resources, Ivanhoe Mines, Kinross Gold Corp, Lundin Mining, Nutrien (anciennement Potash Corp) Tek Resources et Wheaton Precious Metals Corp. Son portefeuille d'actions compte plus de sociétés minières que tout autre secteur de l'économie canadienne.

Le gouvernement canadien maintient 160 délégués commerciaux à travers le monde, dont le travail consiste à traduire les demandes du capital canadien en politiques économiques locales qui soient favorables à la maximisation des profits capitalistes canadiens. Le ministère fédéral des Affaires mondiales fait respecter les exigences des entreprises avec toute la puissance de l'État canadien, en exigeant que tout pays dans lequel les entreprises canadiennes souhaitent investir adapte ses lois pour permettre l'extraction maximale des profits.

L'histoire récente de Barrick Gold en Tanzanie illustre ces relations de manière très détaillée.

Des profits qui dépendent de l'État canadien

Lorsque le gouvernement tanzanien a inspecté les cargaisons de «concentré d'or» de Barrick (un minerai semi-transformé nécessitant des techniques de raffinage spéciales) destinées à l'exportation dans le port de Dar Es Salam au début de 2017, il aurait constaté que la quantité d'or et d'autres minéraux dans les concentrés était beaucoup plus importante que ce que les responsables de la société avaient déclaré. [5]

La filiale tanzanienne d'alors de Barrick, Acacia Mining, a déclaré que chaque conteneur d'expédition de concentré d'or contenait 3 kg d'or. Mais l'audit du gouvernement tanzanien a déterminé que la teneur en or était de 7,3 kg par conteneur.

Étant donné que l'accord du gouvernement tanzanien avec Barrick et d'autres exploitants d'or prévoyait une redevance de 4 % de la valeur de l'or exporté, la sous-déclaration à long terme de la teneur en or des «concentrés» signifierait que le gouvernement tanzanien s'est fait escroquer des redevances importantes pendant des décennies; «importantes» au moins par rapport aux sommes dérisoires qui lui étaient offertes par son ancien contrat avec Barrick.

L'audit tanzanien a déterminé que la valeur totale de l'or concentré réellement exporté du pays par Barrick dépassait 1,8 milliard de dollars par an, alors que la société avait déclaré 1,045 milliard de dollars, et que le gouvernement tanzanien aurait reçu environ 72 millions de dollars, au lieu des 42 millions de dollars qu'il a effectivement reçus. Cela s'ajoute à des litiges fiscaux en cours remontant à l’an 2000 et portant sur 500 millions de dollars. Acacia avait prétendu être «non-résident» en Tanzanie à des fins fiscales, étant donné qu'elle était constituée en société au Royaume-Uni, et que la loi tanzanienne ne l'obligeait donc pas à payer d'impôts.

En réponse aux conclusions de l'audit, le gouvernement tanzanien a décrété une interdiction d'exportation de concentrés d'or et de cuivre, cherchant à faire pression sur les sociétés minières pour qu'elles établissent des fonderies d'or en Tanzanie. Il n'y avait alors qu'une seule fonderie d'or capable de raffiner de l'or pur à .999 sur tout le continent africain, et elle était en Afrique du Sud.

Le gouvernement tanzanien a ensuite imposé à Acacia une facture de 190 milliards de dollars d'arriérés d'impôts, de redevances et de pénalités, ce qui a fait chuter la valeur des actions de Barrick. Cette crise pour les actionnaires de Barrick est immédiatement devenue l'affaire de l'État canadien. Les communications par courrier électronique des fonctionnaires du gouvernement canadien obtenues par le chercheur Ken Rubin, basé à Ottawa, dont beaucoup sont fortement expurgées, documentent la pression incessante exercée par le gouvernement canadien pour forcer le gouvernement tanzanien à se conformer.

À chaque étape, les fonctionnaires canadiens traduisaient les exigences de Barrick dans leurs réunions avec les fonctionnaires tanzaniens. Les dirigeants de Barrick Gold ont orienté les responsables commerciaux canadiens vers l'aide étrangère du gouvernement canadien à la Tanzanie, dont 2,9 millions de dollars pour la Minerals Audit Agency qui avait contesté les affirmations de Barrick. «Les fonctionnaires fédéraux semblaient prêts à citer ce financement dans leurs discussions avec le gouvernement tanzanien, bien que les détails soient expurgés des courriels publiés», rapporte le Globe. Le verbe «citer» est plus probablement un euphémisme poli pour «menacer de couper les vivres».

Le délégué commercial canadien a rencontré à ce sujet le ministre tanzanien des minéraux, Sospeter Muhongo, qui a lui-même été licencié quelques semaines plus tard, accusé d'avoir participé à un système d'évasion fiscale beaucoup plus vaste avec Domenik Rwekaza, le directeur de l'Agence tanzanienne de vérification des minéraux [6]. Muhongo avait déjà été licencié en 2015 dans le cadre du détournement de près de 800 millions de dollars de la Banque centrale tanzanienne dans le «scandale du séquestre Tegeta».

«Les points de discussion pour la réunion, préparés par un délégué commercial canadien, ont suggéré que le haut-commissaire pourrait essayer de résoudre le différend fiscal en faisant la promotion de l'offre d'Acacia de payer pour une étude d'une possible fonderie de cuivre [7] en Tanzanie, et en exhortant le ministre à envisager d'utiliser une facilité de soutien juridique financée par le Canada pour régler la question fiscale», selon le Globe. Il s'agit d'un traité fiscal de 1997 qui favorise les investisseurs canadiens.

Sachant que l'héritage de la violence et de la répression de l'État à l'encontre de la population locale à la mine d'or North Mara de Barrick risquait d'être évoqué, le délégué commercial a également fait l'affirmation ridicule que la situation là-bas «s'était normalisée».

Le président de Barrick, Kevin Dushinsky, a également rencontré le vice-ministre canadien du Commerce, Timothy Sargent, afin de planifier une stratégie commune. Alors que l'article du Globe & Mail déclare: «Les fonctionnaires canadiens ont déclaré que M. Sargent pourrait suggérer que Barrick» explique «à la Tanzanie que le différend pourrait entraîner une perte d'emplois et de revenus et nuire à la réputation de la Tanzanie en tant que destination d'investissement», ce qui est un autre euphémisme. Ce à quoi ils faisaient réellement référence, ce sont les menaces du gouvernement canadien d'une grève des investissements contre la Tanzanie et la suppression de l'aide gouvernementale. Les fonctionnaires canadiens sont allés jusqu'au président tanzanien de l'époque, Magufuli, «pour défendre les intérêts d'Acacia». Les détails spécifiques du «plaidoyer» officiel du gouvernement canadien ont été expurgés des documents publiés.

Il a fallu près de quatre ans pour résoudre le différend, Barrick acceptant de payer 300 millions de dollars sur la réclamation fiscale de 190 milliards de dollars (0,15 %) et de restructurer ses opérations en une coentreprise à parts égales avec le gouvernement tanzanien, qui exploite désormais les trois mines tanzaniennes de Barrick sous le nom de «Twiga Minerals».

Alors que la presse capitaliste canadienne a présenté la demande tanzanienne d'une fonderie d'or comme une simple question d'emplois et de «développement économique», il s'agit d'une autre opération camouflage.

La pratique consistant à exporter des concentrés d'or non raffinés pour les raffiner à l'étranger permet à tous les extracteurs d'or d'Afrique – et pas seulement à Barrick – de réduire leurs impôts et leurs redevances sur ces exportations. L'affinage de tout l'or dans le pays où il a été extrait rendrait ces pratiques beaucoup plus difficiles, voire impossibles. Toutefois, les responsables du gouvernement tanzanien ne se sont probablement pas focalisés sur ce point, car la plupart des concentrés d'or sont raffinés par des fonderies de cuivre, et non par des fonderies d'or.

La fusion de barres d'or «doré» partiellement raffinées, produites par les raffineries minières, en barres monétaires de 0,999, est jalousement gardée par le capital financier. La Suisse possède 70 % de la capacité mondiale de raffinage de l'or, suivie par l'Allemagne, le Japon et l'Afrique du Sud. La Suisse est le centre mondial de l’industrie bancaire privée et la plupart des «barres de bonne livraison», qui peuvent garantir les contrats à terme sur les métaux sur le LME, sont produites par seulement sept grands raffineurs, dont quatre sont suisses. Les contrôles concernant l'origine de l'or qui arrive en Suisse sont très laxistes. [8]

En outre, pratiquement toutes les banques d'investissement en or qui composent la London Bullion Market Association et qui achètent une grande partie de l'or mondial, notamment Credit Suisse, BNP Paribas, Citibank, Goldman Sachs, HSBC, ICBC, JPMorgan Chase et Merrill Lynch, ont été condamnées pour de multiples fraudes fiscales, pots-de-vin et blanchiment d'argent impliquant des milliards de dollars. Nombre de ces escroqueries sont liées à des projets dans les pays en développement. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la demande de la Tanzanie pour une fonderie d'or fin .999. Les responsables du gouvernement tanzanien ont vraisemblablement fait une offre pour être «coupés» d'un autre aspect lucratif du commerce mondial de l'or.

Une coentreprise entre la Tanzanie et des investisseurs de Singapour et de Dubaï a finalement créé une fonderie d'or .999 en 2021 en réponse au scandale de Barrick, mais elle acceptera principalement des lingots dorés provenant de petits extracteurs et exportera de l'or raffiné au Moyen-Orient. La coentreprise Twiga de Barrick continue d'exporter ses concentrés d'or pour les raffiner à l'étranger [9].

Les profits miniers canadiens reposent sur une répression politique sauvage

L'extraction intensive de superprofits en Tanzanie et la concurrence brutale pour une part du butin au sommet de l'État créent un climat de répression et de violence à tous les niveaux de la société, depuis l'opposition politique et les journalistes jusqu'aux villageois déplacés par les opérations.

La violence à North Mara résulte des incursions périodiques dans la mine par des villageois locaux appauvris et désespérés, qui tentent de trouver des morceaux d'or, ainsi que des protestations sociales. Le bassin de résidus de la mine a empoisonné une réserve d'eau locale.

Mining Watch Canada a documenté 22 meurtres et 69 blessures de locaux à la mine de North Mara entre 2014 et 2016, et Acacia a reconnu 28 autres «décès d'intrus» de 2014 à 2017. Une enquête parlementaire tanzanienne de 2016 a fait état de 65 morts et 270 blessés. Dans les courriels publiés, les responsables canadiens ont simplement répété qu'Acacia «a fait une déclaration réfutant entièrement les allégations rapportées».

Les allégations continuent de s'accumuler. Le groupe d'aide britannique RAID (Rights and Accountability in Development) a documenté quatre morts et deux blessés supplémentaires depuis 2019: «Trois des personnes tuées tentaient de quitter le site minier ou en avaient été chassées. Deux ont été abattus à balles réelles, tandis que le troisième a été frappé par un gros projectile, probablement une bombe lacrymogène ou une bombe sonore, à l'arrière de la tête.»

Selon le Globe, «un ancien agent de sécurité de North Mara, qui a travaillé à la mine pendant de nombreuses années, a déclaré qu'il était souvent témoin d'abus de la part de la police tanzanienne contre des intrus sur le site de la mine. Régulièrement, on les voyait frapper les intrus avec de grands bâtons, leur tirer dessus, les maltraiter tout simplement. Il dit avoir été témoin de dizaines d'incidents au cours desquels la police a tiré à balles réelles sur des intrus, y compris trois tirs qui ont causé la mort. Ces incidents ont toujours été signalés à la direction de la mine», selon l'ancien officier, qui craint désormais pour sa propre vie.

Ceux qui dénoncent les activités des sociétés minières canadiennes en Tanzanie ont souvent des raisons de craindre pour leur vie. Le Toronto Star a rapporté en 2019 que des journalistes enquêtant sur de nombreuses accusations de fraude liées aux activités tanzaniennes de Barrick ont reçu des menaces anonymes.

En juillet 2017, le journal tanzanien Mawio a été interdit par le gouvernement le lendemain de la publication d'un article suggérant que les anciens présidents tanzaniens Benjamin Mkapa et Jaya Kikwete étaient impliqués dans des fraudes liées à divers accords miniers conclus avec des entreprises étrangères et remontant aux années 1990. [L'interdiction du journal n'a été levée qu'en février 2022, après la mort de Magufuli et son remplacement par le président Samia Suluhu Hassan.] Les contrats miniers en Tanzanie signés avant janvier 2021 ont été traités comme secrets par les gouvernements tanzaniens successifs et ne sont souvent même pas examinés par le Parlement.

La publication par Wikileaks de câbles diplomatiques américains a également révélé que le procureur général de Tanzanie, Edward Hoseah, a reçu des menaces de mort après que ses enquêtes sur la corruption officielle ont commencé à toucher des hauts fonctionnaires dans l'entourage de l'ancien président Kikwete, alors que les hautes sphères du CCM étaient «intouchables». [11] Le Serious Fraud Office du Royaume-Uni a enquêté sur Acacia en 2017 en réponse aux dénonciateurs qui ont accusé les employés d'Acacia de soudoyer des fonctionnaires du gouvernement tanzanien.

Tundu Lissu s'adresse à la mission d'enquête internationale à Bulyanhulu en 2002 (Crédit photo Stephen Kerr).

En septembre 2017, des assassins inconnus ont tiré sur le leader de l'opposition tanzanienne Tundu Lissu avec plus de 32 balles de mitrailleuse. Lissu, qui a mené de multiples campagnes contre Barrick Gold et d'autres sociétés minières étrangères au cours des 25 dernières années, a survécu mais seulement après de nombreuses opérations chirurgicales. Lissu a été contraint de s'exiler en Belgique. Les politiciens et les militants de l'opposition sont régulièrement la cible de passages à tabac, de meurtres purs et simples, d'accusations forgées de toutes pièces et d'emprisonnements.

Les courriels des fonctionnaires canadiens concernés par le litige fiscal de Barrick ne s'inquiètent que de la meilleure façon de dissimuler tout cela: «Si la marque Canada doit accompagner ce projet, ainsi que tout autre travail que nous faisons au nom de Barrick, nous devrons faire un travail sérieux sur le front de la RSE [responsabilité sociale des entreprises]».

Voyons ce travail sérieux: «Barrick Gold s'est engagée à consacrer 6 dollars pour chaque once d'or produite à North Mara et Bulyanhulu à l'amélioration des soins de santé, de l'éducation, des infrastructures et de l'accès à l'eau potable dans les communautés. Elle a alloué 70 millions de dollars à des projets comprenant la formation des travailleurs des mines dans des universités tanzaniennes». [12] Barrick a gagné 488 millions de dollars au deuxième trimestre 2022, contre 411 millions de dollars au premier trimestre 2021.

En 2018, alors qu'il était occupé à défendre les bénéfices tanzaniens de Barrick, le gouvernement Trudeau s'est engagé à créer un nouveau chien de garde ayant le pouvoir d'enquêter sur les activités des sociétés minières canadiennes à l'étranger, sous la forme d'un «ombudsman canadien pour l'entreprise responsable». Après avoir reçu «un assaut de lobbying de l'industrie minière», le gouvernement Trudeau a discrètement vidé de sa substance ce bureau, qui n'a aucun pouvoir d'exécution. Créé en 2019, il a reçu 15 plaintes, qui restent toutes au stade initial de l'enquête.

[1] https://miningwatch.ca/blog/2002/4/15/bulyanhulu-special-investigative-report-men-who-moil-gold

[2] Tel que cité dans Yves Engler, “Stephen Harper’s Endless Campaign for Mining Profits,” The Tyee, Nov 22 2012.

[3] Jason Hickel et al. “Imperialist appropriation in the world economy: Drain from the global South through unequal exchange, 1990–2015,” Global Environmental Change, Volume 73, March 2022.

[4] https://www.bennettjones.com/Blogs-Section/Canadas-Stock-Exchanges-Favour-Natural-Resource-Issuers

[5] https://www.theeastafrican.co.ke/tea/business/just-how-much-gold-does-tanzania-have--1366954

[6] https://www.mining.com/tanzania-outs-mining-minister-alleged-collusion-companies-evade-taxes/

[7] Notez que, comme les concentrés d'or sont souvent liés au cuivre, beaucoup, mais pas tous les concentrés d'or, sont en fait raffinés dans des fonderies de cuivre, qui disposent de la technologie nécessaire pour traiter ce type de minerai.

[8] https://www.swissinfo.ch/eng/business/multinationals_the-shady-origins-of-gold-refined-in-switzerland/44621040

[9] https://www.tanzaniainvest.com/mining/mwanza-gold-refinery-inauguration

[10] https://www.theeastafrican.co.ke/tea/news/east-africa/tanzania-slaps-2-year-ban-on-newspaper-for-linking-kikwete-mkapa-to-mining-row-1367604

[11] https://www.theguardian.com/world/us-embassy-cables-documents/116436

[12] https://www.barrick.com/English/news/news-details/2022/q2-2022-results/default.aspx

(Article paru en anglais le 10 octobre 2022)

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