Kenya: le président Ruto se met au service de l'impérialisme américain et britannique

Au moment où les puissances de l'OTAN intensifient leur guerre contre la Russie en Ukraine, amenant le monde au bord de la guerre nucléaire et intensifiant considérablement les tensions avec la Chine au sujet de Taïwan, le président kenyan William Ruto s'est rendu à Londres et à New York.

Le président du Kenya, William Samoei Ruto, s'adresse à la 77e session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le mercredi 21 septembre 2022 au siège de l'ONU. [Photo AP/Mary Altaffer ] [AP Photo/Mary Altaffer]

La première destination de Ruto après avoir remporté l'élection présidentielle en août a été le Royaume-Uni, pour assister aux funérailles de la reine Elizabeth II. Ruto a rampé devant la défunte figure de proue de l'impérialisme britannique, déclarant: « Les liens cordiaux qu'elle entretenait avec le Kenya nous manqueront et puissent ses souvenirs continuer à nous inspirer, nous nous associons au deuil du Commonwealth et présentons nos condoléances à la famille royale et au Royaume-Uni dans ces moments difficiles. »

Ruto est resté silencieux sur le rôle brutal de l'impérialisme britannique au Kenya. La reine Elizabeth devint monarque en 1952 lors d'une visite dans ce pays, suite à la mort de son père, le roi George VI. Elle était chef d'État du Kenya lorsqu'une révolte armée anti-coloniale de masse a éclaté, qui dura de 1952 à 1960, dirigée par la Kenya Land and Freedom Army, communément connue sous le nom de rébellion Mau Mau.

La réaction de Londres fut brutale, faisant environ 150 000 victimes kényanes selon l'ouvrage de l'historienne Caroline Elkins, Britain's Gulag: The Brutal End of Empire in Kenya. Son étude montre comment le Royaume-Uni a détenu un demi-million de personnes dans des camps et villages fortifiés. Des milliers de personnes ont été battues à mort ou sont mortes de malnutrition, de typhoïde, de tuberculose ou de dysenterie. Les détenus ont été utilisés comme esclaves et soumis à des agressions sexuelles. Les interrogatoires sous la torture étaient monnaie courante.

La répression a été entérinée au plus haut niveau. Le gouverneur britannique du Kenya, Sir Evelyn Baring, s’interposa régulièrement pour empêcher que ses auteurs soient traduits en justice.

Elkins a récemment écrit dans le magazine Time: « À commencer par son premier Premier ministre Winston Churchill, les ministres de la reine étaient non seulement au courant de la violence systématique perpétrée par les Britanniques dans l'empire, mais ils ont également participé à sa conception, sa diffusion et sa dissimulation, qui était aussi routinière que la violence même. Ils mentirent à maintes reprises au Parlement et aux médias et, lorsque la décolonisation fut imminente, ils ordonnèrent la collecte systématique de toutes les preuves incriminantes et leur destruction.

La reine Elizabeth retourna au Kenya en 1983 et en 1991, pendant le régime du dictateur soutenu par l'Occident, le président Daniel Arap Moi, le mentor de Ruto, alors que les opposants de gauche au régime étaient régulièrement tués et torturés.

Après avoir rendu hommage à l'ancien suzerain colonial du Kenya, Ruto s'est rendu aux États-Unis pour la 77e Assemblée générale des Nations Unies (AGNU). Là, il a profité de sa tournée pour rassurer l'establishment américain au pouvoir. Washington pouvait compter sur son gouvernement comme partenaire loyal pour l'aider à maintenir son emprise stratégique sur l'Afrique orientale et centrale, où il a lancé une longue série d'interventions, de frappes de drones armés et de guerres par procuration.

Après avoir rencontré le secrétaire d'État américain Antony Blinken, Ruto a tweeté: « Nous nous sommes engagés à faire progresser notre partenariat stratégique au plan bilatéral et multilatéral. Nous reconnaissons les liens étroits entre le Kenya et les États-Unis et nous nous engageons à intensifier la coopération dans les domaines du commerce, de l'investissement, de la sécurité alimentaire et de la stabilité dans la Corne de l'Afrique, au profit du peuple. »

Bien que les détails de la rencontre n’aient pas été divulgués, Ruto s’est engagé à sa suite de maintenir la présence en Somalie, et cela depuis dix ans, des 3 500 soldats des Forces de défense kenyanes (FDK). Il a déclaré à France24: « ces troupes seront de retour à la maison dès que nous aurons terminé la mission que nous avons en Somalie ».

Ces dernières semaines, les FDK auraient collaboré avec l'armée nationale somalienne, tuant des centaines de combattants d'Al-Shabaab dans les régions de Hiiraan, Galgaduud et Bay.

Le Kenya fonctionne comme allié clé des États-Unis contre l'insurrection d'Al-Shabaab en Somalie. Ce pays est stratégiquement situé en bordure de l'océan Indien et à l'entrée de la mer Rouge, par laquelle passent environ 700 milliards de dollars de cargaison maritime chaque année. Cela inclut presque tout le commerce de l'Europe avec l'Asie, y compris celui du rival de Washington, la Chine.

Si la guerre éclatait avec la Chine, Washington chercherait à utiliser la Somalie comme point d'étranglement du commerce chinois avec l'Europe transitant par le canal de Suez.

Ruto s'est également engagé dans une force de « maintien de la paix » d'Afrique de l'Est soutenue par l'Occident pour l'est du Congo, riche en minerais. L'objectif est de stabiliser cette région déchirée par la guerre afin que les sociétés occidentales puissent y piller les minéraux – cassitérite, columbite-tantalite, wolframite, béryl, or et monazite, entre autres. Les ressources du Congo sont considérées par Washington et ses alliés impérialistes européens comme la clé pour mener une guerre contre Pékin.

L'alignement de Ruto sur Washington contre la Chine et la Russie s’est traduit par deux réunions de haut niveau avec des délégations du Sénat américain en un peu plus d'un mois.

Le 18 août, il a rencontré une délégation de bellicistes anti-Chine, le signal que Washington voulait que Nairobi s'aligne contre Pékin. Cette délégation comprenait l'ambassadrice américaine au Kenya et la milliardaire de la Silicon Valley Meg Whitman ; le belliciste anti- Chine et sénateur du Delaware Chris Coons, connu comme bras droit de Biden au Sénat; la représentante commerciale des États-Unis Katherine Tai, qui a poursuivi les mesures de guerre commerciale de Trump contre Pékin; et Mary Catherine Phee, secrétaire d'État adjointe aux affaires africaines.

Phee s'est engagée à utiliser les ambassades américaines partout en l'Afrique « pour affronter le défi chinois à l'ordre international fondé sur des règles ».

Lundi dernier, Ruto a rencontré une autre délégation américaine après avoir parlé avec Blinken au téléphone. Blinken a remercié Ruto d'avoir soutenu une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU dénonçant les référendums de Moscou dans les régions de Donetsk et Lougansk en Ukraine.

Nairobi s'engage dans la guerre des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie en Ukraine. Ruto fait marche arrière sur ses commentaires quelques jours auparavant à la BBC, promettant de considérer l’achat de carburant à la Russie et contournant ainsi les sanctions américaines.

La délégation américaine était dirigée par le sénateur de l'Oklahoma James Inhofe, président de la Commission des forces armées du Sénat. Dans le passé, Inhofe a exhorté l'administration Biden à accélérer l'accord de libre-échange entre le Kenya et les États-Unis (ALE). Dans une lettre l'année dernière, il a déclaré que l'ALE était nécessaire pour « aider les intérêts américains en matière de sécurité dans la région ». Qualifiant le Kenya « d'allié important dans la Corne de l'Afrique », il a ajouté : «un ALE américano-kenyan renforcerait les liens commerciaux à un moment où la Chine et la Russie recherchent une influence économique sur le continent africain ».

La classe dirigeante du Kenya vise à faire du pays un centre manufacturier pour les entreprises américaines qui cherchent à se diversifier ou à se délocaliser hors de Chine, après des sanctions successives contre les entreprises technologiques de Pékin, des provocations à Taïwan et des politiques de guerre commerciale. Le Kenya est le seul pays africain engagé dans des négociations commerciales bilatérales avec Washington.

Les hommes d'affaires américains demandent cependant plus de concessions au Kenya. Des géants de la technologie comme Google, Facebook et Amazon veulent que Washington oblige Nairobi à abolir la taxe sur les services numériques comme condition d'un nouvel accord commercial. La taxe de 1,5 pour cent a été introduite l'an dernier par le Trésor national.

Ruto a déjà montré qu'on pouvait lui faire confiance pour imposer l'austérité aux travailleurs. Au cours de ses premières semaines de présidence, son gouvernement a supprimé les subventions sur l'unga (farine de maïs) et le carburant, annoncé de nouvelles hausses de taxes douanières sur les biens et services et augmenté les cotisations obligatoires à la Caisse nationale de sécurité sociale.

Il a également ordonné au Trésor national de réduire d'au moins 2,5 milliards de dollars le budget de 27,4 milliards de dollars de cette année, une réduction brutale de 10 pour cent. Et ce n'est que le début. Ruto a promis que « l'année prochaine, nous le réduirons davantage afin que, d'ici la troisième année, nous ayons un excédent budgétaire récurrent ».

Les élites dirigeantes kényanes se prosternent devant l'impérialisme et leurs attaques contre la classe ouvrière à l’intérieur révèlent à nouveau l'incapacité de la classe capitaliste des anciens pays coloniaux à s'opposer à l'impérialisme. Une vague internationale de luttes émerge dans la classe ouvrière. La voie à suivre pour les travailleurs et les masses opprimées du Kenya est d'unifier leurs luttes avec ce mouvement de masse émergent et de le développer comme une lutte internationale contre l'inflation et la guerre impérialiste.

(Article paru en anglais le 5 octobre 2022)

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