Des centaines de millions de personnes dans le monde sont frappées par une inflation des prix des denrées alimentaires et des pénuries sans précédent, et sont confrontées à la famine. Mais les entreprises géantes qui dominent la production et la distribution de nourriture engrangent de l’argent comme jamais auparavant.
La crise alimentaire, qui résulte de la subordination totale des moyens de subsistance au profit capitaliste, est au centre de la dernière mise à jour sur les inégalités mondiales préparée par l’organisation humanitaire britannique Oxfam. Cette mise à jour précède la réunion du Forum économique mondial, le rassemblement des élites économiques et financières du monde, qui se tient à Davos, en Suisse, cette semaine.
La crise alimentaire inflationniste, déclenchée par le refus des gouvernements capitalistes de prendre des mesures pour éliminer la pandémie de COVID-19, a été intensifiée par la guerre par procuration menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine.
La semaine dernière, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré que le niveau de la faim dans le monde avait atteint un nouveau record, le nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire ayant doublé ces deux dernières années, passant de 135 millions à 276 millions.
L’approvisionnement en engrais et autres intrants agricoles étant gravement perturbé, la crise n’a pas de fin en vue.
Le dernier rapport d’Oxfam explique en détail comment les entreprises agroalimentaires mondiales, ainsi que les compagnies énergétiques, tirent profit de cette misère humaine.
Les prix alimentaires mondiaux ont augmenté de 33,5 pour cent au cours des deux dernières années et devraient encore augmenter de 23 pour cent cette année. Le mois de mars a enregistré la plus forte hausse des prix alimentaires depuis que les Nations unies ont commencé à collecter des données sur les prix alimentaires en 1990.
Les sociétés et les dynasties de milliardaires qui contrôlent une grande partie de notre système alimentaire voient leurs bénéfices exploser», indique le rapport, qui note que 62 nouveaux milliardaires de l’alimentation ont été créés au cours des deux dernières années.
Le rapport accorde une attention particulière au géant mondial de l’alimentation Cargill, l’une des plus grandes entreprises privées au monde et l’une des quatre sociétés qui contrôlent plus de 70 pour cent du marché mondial des produits agricoles.
La richesse combinée des membres de la famille Cargill a augmenté de 14,4 milliards de dollars depuis 2020, soit une hausse de 65 pour cent. Elle a augmenté de près de 20 millions de dollars par jour pendant la pandémie, sous l’effet de la hausse des prix des produits alimentaires, notamment des céréales.
La société a réalisé un bénéfice net de 5 milliards de dollars en 2021, le plus important de son histoire, et a versé 1,13 milliard de dollars de dividendes en grande partie aux membres de la famille. Elle devrait réaliser des bénéfices record cette année encore.
Cargill n’est pas la seule à engranger ces sommes. L’un de ses principaux rivaux, la société de négoce agricole Louis Dreyfus, a annoncé que ses bénéfices avaient bondi de 82 pour cent l’année dernière grâce à la hausse des prix des céréales et des oléagineux.
À l’autre bout de la chaîne alimentaire, Oxfam a noté que la chaîne de supermarchés américaine Walmart a versé 16 milliards de dollars l’année dernière sous forme de dividendes et de rachats d’actions aux détenteurs de ses titres. Seuls 5,9 pour cent d’un panier moyen de produits alimentaires sont allés aux petits agriculteurs.
Le salaire annuel moyen d’un employé de Walmart n’est que de 20.942 dollars, mais si l’argent distribué aux actionnaires était consacré aux 1,6 million d’employés de l’entreprise, le salaire moyen passerait à 30.904 dollars par semaine.
Les autres grands bénéficiaires de la crise inflationniste, qui entraîne une baisse des conditions de vie des travailleurs du monde entier, sont les grandes compagnies pétrolières qui ont doublé leurs marges bénéficiaires en deux ans de pandémie. Le prix du pétrole brut a augmenté de 53 pour cent l’année dernière et celui du gaz naturel de 148 pour cent. La hausse des prix de l’énergie contribue largement à l’augmentation des coûts de l’alimentation et du transport.
«Les entreprises qui font partie de la chaîne d’approvisionnement énergétique mondiale font une fortune [littéralement mortelle, étant donné la menace de famine] de ces hausses de prix. Au cours de l’année écoulée, les bénéfices du secteur de l’énergie ont augmenté de 45 %… Les milliardaires du secteur du pétrole, du gaz et du charbon ont vu leur fortune augmenter de 53,5 milliards de dollars [24 pour cent] en termes réels au cours des deux dernières années», indique le rapport.
Le même tableau se dessine dans l’industrie pharmaceutique, où la pandémie a entraîné la création de 43 nouveaux milliardaires qui ont «profité des monopoles que leurs entreprises détiennent sur les vaccins, les traitements, les tests et les équipements de protection individuelle».
Lorsque ces questions sont soulevées, la réponse des défenseurs du «marché libre» est que cette richesse est la «récompense» justifiable de l’esprit d’entreprise et des dépenses de recherche. Ils prétendent que, sans cela, le développement de nouveaux médicaments et vaccins n’aurait pas lieu.
Cela a toujours été un mensonge mais il ne l’a jamais été autant. Comme l’indique le rapport, la plupart des fortunes des nouveaux milliardaires de la pharmacie «sont dues à des milliards de dollars de financement public – par exemple, des subventions et des achats de R et D» par les gouvernements.
Moderna, dont le seul produit est un vaccin COVID-19, a une marge bénéficiaire de 70 pour cent. «Elle a immensément bien réussi à transformer 10 milliards de dollars de financement public aux États-Unis… en environ 12 milliards de dollars de bénéfices sur les vaccins à ce jour.»
L’entreprise a créé quatre milliardaires du vaccin avec une richesse personnelle combinée de 10 milliards de dollars, alors que seulement 1 pour cent de ses vaccins sont allés aux pays les plus pauvres. Dans le même temps, elle a refusé de coopérer aux efforts qui visent à établir une fabrication locale dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
L’histoire est la même chez Pfizer. La marge bénéficiaire sur ses vaccins est de 43 pour cent et l’année dernière, elle a versé 8,7 milliards de dollars de dividendes. Afin de protéger sa marge bénéficiaire, Pfizer s’est associée à d’autres sociétés pharmaceutiques pour empêcher la renonciation aux droits de propriété intellectuelle qui entraînerait une forte baisse des prix des vaccins. Des millions de dollars d’opérations de lobbying ont été dépensés pour tenter d’empêcher cela.
Dans son analyse globale de la crise inflationniste et de l’explosion de la richesse des milliardaires, le rapport note que les milliardaires ont augmenté leur richesse autant en 24 mois qu’au cours des 23 années précédentes. Ceux des secteurs de l’alimentation et de l’énergie ont augmenté leur fortune d’un milliard de dollars tous les deux jours.
Un nouveau milliardaire «a été créé en moyenne toutes les 30 heures pendant la pandémie», tandis que, dans le même laps de temps, un million de personnes tombaient dans l’extrême pauvreté.
Le rapport note que l’augmentation de la richesse des milliardaires résulte de l’injection de milliers de milliards de dollars dans le système financier. À cela, s’ajoutent une «manne de profits» et le renforcement du contrôle des monopoles sur l’économie. On trouve des estimations selon lesquelles, aux États-Unis, «l’augmentation des profits des entreprises est responsable de 60 pour cent des hausses de l’inflation».
Le rapport poursuit le plaidoyer d’Oxfam en faveur d’une série d’impôts sur la fortune, notant qu’un impôt progressif sur la fortune commençant à 2 pour cent pour ceux dont la richesse est supérieure à 5 millions de dollars et à 5 pour cent pour une richesse supérieure à 1 milliard de dollars pourrait générer 2,520 milliards de dollars dans le monde, soit suffisamment pour sortir 2,3 milliards de personnes de la pauvreté et fournir des soins de santé à 3,6 milliards de personnes dans les pays à faible revenu.
De tels calculs sont précieux dans la mesure où ils démontrent qu’il existe des ressources plus que suffisantes pour reconstruire l’économie mondiale sur la base de l’égalité sociale. Mais la perspective politique présentée, à savoir que des mesures raisonnables peuvent être avancées pour convaincre les élites dirigeantes de changer de cap, est un échec.
En fait, elle est réfutée par certains des commentaires de conclusion du rapport: «Oxfam souligne avant tout que l’augmentation rapide de la richesse des milliardaires aujourd’hui et la crise du coût de la vie à laquelle font face des milliards de personnes sont un seul et même phénomène. Il ne s’agit pas d’un phénomène qui se produit simplement sous leurs yeux, mais qui a été délibérément conçu avec leur soutien».
Cela montre clairement que la poursuite d’une perspective réformiste qui vise à essayer de convaincre les gouvernements capitalistes, les serviteurs de cette oligarchie, de changer en quelque sorte de cap est futile. La seule politique viable et réaliste est la lutte politique de la classe ouvrière dans chaque pays pour le programme du socialisme international, afin que la richesse produite par le travail de milliards de personnes puisse servir à améliorer leurs conditions sociales.
(Article paru en anglais le 24 mai 2022)